16# Eotopia : respect du Vivant et économie du don
Pour choisir les lieux que je souhaitais visiter, je n’ai pas établi de critères précis mis à part la vie collective. Les informations que je pouvais trouver sur internet sur un lieu dont j’avais eu connaissance me suffisaient pour décider si le lieu m’attirait suffisamment pour m’y rendre. Je m’abstenais même de regarder les éventuelles vidéos disponibles, à la fois pour garder la surprise de découvrir le lieu par moi-même et aussi pour ne pas être influencé par un média qui donnerait forcément une image positive du projet. Je ne ressentais pas non plus la nécessité de prendre contact avec le collectif longtemps à l’avance pour être au courant de la situation actuelle du projet et des modalités d’accueil. C’était un pari risqué et à plusieurs reprises, la réalité s’est avérée bien différente de la signature numérique. En prenant connaissance du projet Eotopia via leur site web, je me suis réjoui à l’idée de rencontrer une communauté portant des principes forts tels que le véganisme, l’interdiction des drogues ou encore « l’économie du don »…
Lors de mon arrivée sur le site à l’extrémité Ouest de la Saône-et-Loire, sur une colline de la Sologne Bourbonnaise, l’endroit m’a fait l’effet d’un village fantôme. Aucun habitant n’était visible, ni à l’extérieur, ni dans ce qui semblait être les espaces communs, alors qu’ils étaient prévenus de mon arrivé. En m’enfonçant un peu plus sur ce terrain en pente douce, j’ai fini par percevoir de la musique qui venait d’une cabane. Quentin m’a reçu et m’a fait visiter le lieu. A chaque fois qu’il ouvrait une porte pour me présenter un nouvel espace, il se sentait obligé de commenter en disant : « Bon, alors là c’est un peu le bordel… Il faudrait qu’on fasse ça… mais on le fait pas… » C’était notamment le cas du potager visiblement peu entretenu et aussi de la ‘casse de vélos’ où dans un des rares bâtiments en dur se serraient les uns contre les autres une bonne cinquantaine de vélos sans aucune allée pour circuler si bien que le seul moyen d’accéder aux vélos était d’escalader tous les autres ou de les sortir un par un. Après y avoir stationné ma remorque de vélo dans un petit espace libre, j’ai dû marcher sur des vélos pour enfant pour pouvoir sortir de la pièce.
L’économie du don
Un peu plus tard dans la visite, Quentin m’a donné des explications sur cette notion d’’économie du don’. « L’idée [est] que chacun.e donne ce qu’il.elle veut quand il.elle le souhaite, sans conditions » et de croire « à l’équilibre entre donner et recevoir à un niveau global et [avoir] conscience que ce pour quoi nous œuvrons est collectif. »[1] (Bien sûr, il faut entendre ici « donner » et « recevoir » bien au-delà de leur sens pécuniaire). Il m’a également confié que certains résidents avaient vécu six mois sur le lieu sans donner d’argent mais qu’ « ils étaient OK avec ça ». Cette philosophie me parle et fait écho en moi. Malheureusement, après avoir désigné la boîte qui sert pour les dons pécuniaires et avoir mentionné qu’il devait en récupérer le contenu pour faire des courses, Quentin l’a ouverte pour n’y découvrir que quelques pièces de peu de valeur…
Mon analyse personnelle est la suivante : Il est plus que nécessaire à notre société de lâcher prise par rapport à l’argent, notion sur laquelle nous fondons directement notre sécurité personnelle bien avant l’idée de pouvoir jouir de l’existence. Beaucoup d’écolieux ont ouvert la voie vers des solutions en proposant par exemple des chambres en hébergement inconditionnel pour quelques jours et en s’efforcent de faire en sorte que les moyens financiers ne soient pas un frein pour rejoindre la communauté. Malgré cela, les questions financières restent cruciales au sein d’un groupe et beaucoup d’entre eux ont implosés à cause de divergences sur ce sujet. Il y a les questions initiales relatives à l’achat d’un terrain et à l’investissement de départ mais il y a aussi les besoins courants qu’il faut pouvoir assurer. Même si beaucoup d’écolieux s’efforcent de moins recourir à l’argent en faisant les choses par eux-mêmes, il reste des besoins qui passent forcément par des achats, et qui dit achat dit argent.
Wwoofing ?
A la fin de la visite, la discussion s’est orientée vers les modalités de ma visite. Comme dans tous les lieux visités, je propose mon aide comme wwoofeur. Quentin a alors commencé à m’expliquer :
« Tu comprends, ici, nous n’accueillons pas de wwoofeurs car il n’est pas dans notre philosophie de dire aux autres membres du collectifs ce qu’ils doivent faire alors encore moins vis-à-vis de personnes qui sont seulement de passage ».
Je n’avais donc pas beaucoup à m’occuper pendant mon séjour si ce n’est pour réparer mes propres crevaisons…
Une forte mutualisation
Parmi tous les types d’écolieux et si on tente de les caractériser, il est une notion qui est centrale, c’est le degré de mutualisation, c’est-à-dire répondre à la question : « À quel point les tâches et activités quotidiennes sont mutualisées ? » À une extrémité de l’échelle, on retrouve les habitats participatifs où chaque famille possède un appartement complet avec toutes les nécessités du quotidien et où il a des salles communes mais ce n’est toujours le cas. Certains services y sont mutualisés comme la buanderie ou les voitures. Souvent, il n’y a pas de repas commun officiellement institué. A l’autre extrémité, on peut trouver les maisons ouvertes [2] et les communauté religieuses [3] où tous les repas sont pris ensemble et où les espaces privés se limitent à une chambre individuelle. Bien que ne rentrant dans aucune de ces deux catégories, Eotopia se situe aussi à cette extrémité puisqu’une grande longère est entièrement commune et que les espaces privés sont uniquement des cabanes, des caravanes qui ne sont meublées avec rien de plus qu’un lit, une table et une armoire. Personnellement, je me sens plus attiré par un positionnement du curseur de ce côté et je trouve que cette façon de faire revêt plus de sens puisqu’elle participe à créer un vrai esprit de communauté.
Un faible impact écologique
En cohérence avec la philosophie du lieu, le collectif s’efforce au quotidien de minimiser son empreinte écologique. Cela se traduit notamment par les sources d’énergie. En hiver, le repas commun de 17h est préparé sur une ‘boisinière’ (une cuisinière à bois) située au milieu de la pièce de vie principale et qui chauffe la pièce par la même occasion. En été, lorsque cette salle n’a pas besoin d’être chauffée, les aliments sont cuits à l’extérieur sur des ‘rocket stove’, ces petits poêles à bois artisanaux dont la circulation d’air particulière permet de produire beaucoup de chaleur avec peu de bois. Cette façon de faire rend la préparation des repas plus longue mais les repas communs permettent de gagner du temps puisqu’une seule personne cuisine pour tout le monde.
Anticipation ?
Avant d’arriver sur le lieu, Quentin m’a mis en garde car le groupe étant privés de voiture pour deux semaines, la situation était devenue délicate en regard de trois points : les poubelles débordaient ; il n’y avait plus grand-chose à manger ; il n’y avait plus de sciure pour alimenter les toilettes sèches. Je lui ai répondu que je saurais m’adapter à la situation. Une fois sur place, j’ai cherché à en savoir plus. Je pensais que la voiture du collectif était tombée en panne. La raison était toute autre. Le propriétaire de la voiture (et habitant du lieu) était tout simplement parti en vacances pour deux semaines ! J’étais abasourdi de constater un tel manque d’organisation. Je ne pouvais m’empêcher de penser : « Si cette voiture est indispensable au fonctionnement du collectif, est-ce que son propriétaire peut s’autoriser à l’en priver pour deux semaines ? » « Partir en vacances ne se décide pas du jour au lendemain. Le collectif aurait pu anticiper en faisant les courses, en rachetant de la sciure et en remettant le stock de poubelles à zéro avant le départ des vacanciers ! » « Nous sommes à 2km d’un village où se trouve une boulangerie et une supérette. Une voiture n’est pas indispensable si des courses sont nécessaires ! »
Ce qui compte
Bref… mon sentiment est plus que mitigé à l’égard de ce jeune collectif, jeune puisque tous les habitant.es ont autour de 30 ans et que la plupart d’entre eux habitent sur les lieux depuis moins de 2 ans. En effet, en 5 ans, à deux reprises, de nombreux habitants et habitantes ont quitté le lieu et un nouveau groupe s’est installé. En plus de cela, sur le plan humain, les échanges étaient très limités. Malgré mes questions pour mieux connaître les gens et le projet, cette curiosité ne semblait pas réciproque et les personnes présentent ne manifestaient que peu d’intérêt envers moi et ma démarche. J’avais cette impression étrange qu’après plusieurs jours parmi eux, la glace n’avait toujours pas été brisée… Malgré tout, tous les témoignages que j’ai pu entendre par la suite de personnes s’étant rendu à Eotopia à l’occasion d’un festival ou d’un chantier participatif ont tous été positifs. Et force est de reconnaitre que chaque résident.es semble heureux de vivre ici et s’y sent bien. N’est-ce pas là ce qui compte ?…
[1] https://www.eotopia.org/wordpress/fr/economie-du-don/
[2] Voir La maison de partage (7#) et La communauté de la Celle (28#)
[3] Voir La communauté de Grandchamp (14#), Le temple de Palden Shangpa (17#), La communauté de Taizé (18#) et L’Académie pour une Ecologie Intégrale (49#)
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Eh trop trop bien ton article sur Eotopia. Ça nous a bien fait rire. J’suis un peu le héros de l’histoire, merci !
Quentin d’eotopia.