12# Ungersheim : une commune en transition
Une commune différente
Le vivre autrement ne concerne pas uniquement la sphère prive et individuelle. Il peut aussi s’étendre à une commune. Pour ce voyage, il me semblait pertinent de découvrir cette différence lorsqu’elle se manifeste à l’échelle d’une municipalité. Le nom d’Ungersheim, commune de 2200 âmes de l’Est de la France, est apparu lors de mes recherches préparatoires probablement via une vidéo sur un thème similaire. Mais en quoi cette ville est-elle différente des autres ? Je dirais qu’elle est avant tout différente par la vision d’un maire charismatique en la personne de Jean-Claude MENSH. Figure de la lutte syndicale alsacienne, cet homme est maire depuis 30 ans. Après s’être attaqué au volet social de la ville pendant ses 20 premières années de mandats, il a fait prendre à celle-ci un virage écologique il y a 10 ans. Dans cette optique, plusieurs projets ont vu les jour : lancement d’une activité de maraîchage biologique menée par Kenji, maraicher en chef, qui, associée à un atelier de transformation alimentaire, fourni aujourd’hui la cantine municipale de la ville ainsi que plusieurs autres cantines alentours, création d’un habitat participatif sur un terrain de la commune avec une réplique en projet, accueil d’habitats léger, gestion écologique des espaces publics, création d’une épicerie municipale et bien d’autres encore.
L’équipe de travail
Lors de mon séjour, j’ai été affecté au maraichage. Kenji m’a très gentiment pris sous son aile. Franco-japonais, il a la chance d’avoir un double regard sur ces deux cultures, sur ces deux civilisations. Avec lui, nous refaisons le monde dès notre premier soir ensemble et à d’autres occasions également. Avec deux jeunes en service civique, quelques bénévoles et Gaël qui, en échange d’une demi-journée de travail par semaine pour la commune est autorisé, lui et sa compagne Océane, à occuper un terrain communal avec sa tiny-house, nous formons une joyeuse bande d’une efficacité remarquable ! Fauchage de chanvre pour un projet expérimental de construction du type kerter, cueillette de tomates et d’oignons font partie des activités de saison. Kenji et moi prenons la camionnette électrique de la commune pour nous rendre sur le terrain situé en périphérie de la ville.
Aimant bricoler, je suis ensuite affecté à la construction d’une cabine de toilettes sèches, le coffre ayant été réalisé par de précédentes wwoofeuses. Après avoir posé les bases de l’architecture globale de l’édifice avec Kenji et Laurena dans l’atelier municipal, j’ai réalisé le toit et les ‘murs’ au cours de plusieurs journées de travail parfois avec l’aide d’autres bénévoles. Là encore, cette expérience m’a beaucoup appris sur le travail en binôme. Afin d’apporter un peu d’humanité à ce travail, je finis en pyrogravant le prénom de chaque participant et participante à l’arrière de la cabine, sans oublier les participantes passées et peu importe le temps de travail accordé par chacun. Les pauses sont l’occasion de discuter avec les autres employés municipaux ce qui m’apporte un autre point de vue sur les activités de la commune et me permet aussi de découvrir la subtilité de l’accent alsacien…
Pendant ces jours, je me rends à l’atelier avec une bicyclette prêté en t-shirt car les journées sont très douces en ce début septembre. Cela m’amuse de me croire employé municipal. Cela me donne l’impression que la ville m’appartient. Et malgré tout, cela ne m’empêche pas de garder cet esprit de simplicité en allant travailler sur un vélo de promenade.
Une vue intégrale
Avant mon arrivée, je ne savais pas que l’Alsace était une vaste plaine. Je pensais que le massif des Vosges s’étendait jusqu’à la frontière allemande et que le Rhin avait coupé la montagne en deux laissant la Foret Noire sur l’autre rive. A Ungersheim, on voyait bien ce qu’il en était réellement. Côté Ouest, le massif des Vosges par lequel j’étais arrivé semblait se dressé dès la sortie de la ville. Côté Est, très loin à l’horizon, on pouvait justement apercevoir les reliefs de la Forêt Noire et donc l’Allemagne. Autrement dit, on pouvait, rien qu’en se retournant, contempler l’Alsace sur tout sa longitude ! De plus, Kenji a lui-même constaté que circuler dans un espace sans relief avait des avantages insoupçonnés. Il consomme moins de carburant et ses pneus s’usent moins vite que la normale !
Une coloc atypique
Je loge dans un grand appartement partagé dans un immeuble qui appartient à la commune, entre l’habitat partagé et la tiny de Gael. La seule véritable habitante du lieu est Mia, une femme de 80 ans très sympathique. Avec elle et Lauréna, nous avons des soirées très enrichissantes. Malgré son âge, elle cherche encore son furu sato, l’endroit où l’on se sent chez soit tel que défini par la culture japonaise. Elle rentre justement de plusieurs jours de voyage où elle a exploré d’autres formes d’habitats. Cela se ressent dans l’appartement. Décoration quasi inexistante, murs banc et froids, matériel de cuisine minimaliste à l’image des locations courte durée, j’ai la sensation que ce lieu de vie est utilisé sans véritablement être habité. Lauréna partage mon avis.
L’habitat partagé
Juste à côté de l’immeuble où je réside ce trouve un habitat partagé. Il s’agit d’un long bâtiment aux façades colorées constitué de plusieurs modules à un seul étage construits en auto-promotion dans des matériaux à faible empreinte écologique, principalement en bois. Dans la logique d’ancrer l’écologie dans l’urbanisme de la commune, celle-ci a souhaité et encouragé le projet. J’aurai l’occasion d’interviewer une famille qui y vie. Avec « l’équipe », nous aurons la chance de participer à une fête dans les espaces extérieurs pour l’anniversaire de Kenji. En été, c’est ici que la plupart des évènements commun ont lieu. Pour le moment, il n’y a pas de pièce commune en intérieur ce qui, en hiver, limite les moments où beaucoup d’habitant.es peuvent se rassembler mais le groupe réfléchit à de nouveaux aménagements.
Des projets écologiques
Même si les projets à forte valeur ajouté écologique sont nombreux, beaucoup sont ceux qui s’accordent à dire que la façon dont ils sont menés n’est pas toujours adéquate. La décision de pratiqué le fauchage annuel des espaces publics en herbe n’a pas été accompagnée de la communication nécessaire à destination des habitants ce qui a suscité certaines réactions parmi eux lorsqu’ils ont constaté que les plates-bandes n’étaient plus tondues. De même, la future épicerie avait déjà trouvé un local dont l’aménagement avait commencé alors que les besoins en termes de rayonnage n’était toujours pas défini. Lauréna, venue en stage pour un mois était plus ou moins affectée à ce projet et constatait certaines incohérences dans la gestion du projet. La discussion pour établir les critères selon lesquels un produit y serait vendu ou non (Bio ? Local ? Combien de km ? Zéro déchet ?) n’avait toujours pas abouti. Pour finir, la deuxième tranche d’habitat participatif en projet piétinait et les habitant du premier bâtiment étaient surpris de ne pas avoir été sollicités pour apporter leur expérience au nouveau projet pourtant très similaire au leur. Certains déploraient aussi la dominance de cultures de maïs en agriculture conventionnelle (chimique) et intensive dès que l’on franchissait les limites urbaines de la ville.
En conclusion, même si la volonté d’apporter résilience et écologie à l’échelle d’une commune est là, l’intention ne suffit pas. Pour que cette volonté trouve un écho auprès de la population et que l’ensemble des administrés adhère à cette vision et soit entrainé dans cette voie, une bonne communication et de la méthode dans la gestion de projets sont nécessaires. Faute de quoi, à Ungersheim, certaines personnes impliquées dans les projets finissent, aux vues d’une gestion parfois chaotique, par douter de la pertinence de l’objectif à l’image de l’érosion de la participation aux assemblée citoyennes. Malgré tout, force est de constater que des projets finissent malgré tout par aboutir.
C’est avec une certaine émotion que je quitte ce joyeux contexte et que j’entame les deux coriaces jours de vélo qui vont me conduite en Suisse.