4# La Baraque : la lutte par l’auto-construction
« C’est une sorte de ZAD ». Tels sont les premiers mots que je prononce lorsqu’on me demande de raconter ce qu’est le quartier alternatif de la Baraque, à Louvain-la-Neuve. L’histoire remonte à 1975 (prononcez « septante-cinq ») lorsque l’Université Catholique de Louvain (UCL) décide de créer, sur des terres qui lui appartiennent, un second campus pour fonder la ville nouvelle de Louvain-la-Neuve. Seulement voilà, les étudiant supposés occuper les futurs locaux refusent d’habiter des logement ‘clé-en-main’. Profitant de la disparition des cultures viticoles en Belgique, ils récupèrent des serres agricoles en verre et s’en servent de base pour se construire leur habitation, les premières « baraques ». Bien sûr, cette initiative n’est pas du goût de l’université qui fait tout pour empêcher la réalisation du projet. Qu’importe, les maisons voient tout de même le jour pour former le quartier alternatif de la Baraque. La ville de Louvain-la-Neuve est elle aussi édifiée et est aujourd’hui une ville étudiante très active. D’autres maisons se sont ajoutées au quartier avec des modes de construction très variés et depuis ce temps, l’UCL n’a cessé de tenter d’anéantir le projet ou d’en grignoter le territoire.
La lutte continue !
A la différence de Notre-Dame-des-Landes (41#), le rapport de force entre les habitants et l’UCL n’a pas dépassé le cadre des négociations et aucun affrontement violent n’est à déplorer. Malgré tout, aujourd’hui encore, certaines maisons du quartier du « Talus » font face à de grandes structures en béton fraîchement sorties de terre lors de mon séjour, futurs immeubles d’habitation à l’initiative de l’UCL. Même si le quartier reste debout, la menace est toujours présente et les habitants n’ont toujours aucun droit d’occuper les lieux et peuvent être expulsés à tout moment selon le bon vouloir de l’équipe dirigeante de l’université. Certains habitants déplorent même le coté trop complaisant et trop passif du collectif et considèrent qu’ils devraient montrer plus de fermeté pour ne pas disparaitre petit-à-petit. Dans cet esprit, j’ai eu la chance de participer avec les habitants à un chantier clandestin…
Les habitants souhaitant voir moins de voitures dans les allées du quartier réclamaient la création de nouvelles places de parking en périphérie. L’affaire concerne non seulement les habitants et l’UCL mais aussi l’agriculteur possédant les terres attenantes et la commune puisque le terrain visé se trouve en partie sur l’espace public. Devant les silences et les contraintes administratives que soulevaient ce projet, les habitants ont décidé de faire fi des autorisations et de prendre les devants. Nous nous sommes donc retrouvés en ce samedi matin, tous et toutes armés de brouettes, de pelles, de pioches et de faux pour défricher le bord de la route, déterrer les traverses de chemin de fer qui en délimitaient l’accotement, les replanter temporairement quelques mètres plus loin, décaisser la terre pour mettre le sol au niveau de la route et couvrir les places de stationnement de broya de bois. En trois heures à une dizaine de personnes, le travail était fait dans la bonne ambiance et l’efficacité ! Le stand petit déjeuner et boissons tenu par quelques habitantes âgées nous a aussi bien aidé. Même la météo nous a été favorable puisque le ciel avait eu la bonne idée de se couvrir de gris apaisant un temps ce chaud mois de juin. Le résultat était avant tout symbolique puisque nous avions créé au total… deux places et demie de stationnement mais le résultat était très propre et l’idée était avant tout de montrer aux yeux du monde que la force, la combattivité et la résistance de La Baraque étaient toujours là ! La complexité et l’absurdité de bon nombre de règles d’urbanisme ne pouvaient avoir raison de la liberté de vivre à sa façon. Tel est l’esprit de la Baraque !
Une diversité dans l’auto-construction
Pour un étudiant en architecture, la Baraque est un lieu incontournable puisqu’elle rassemble un échantillon très varié de tout ce qui se fait en matière d’éco-construction et d’auto-construction. Chaque habitant a imaginé son lieu de vie en toute liberté. Certains ont eu recours à des architectes et le résultat brille autant par son originalité que par la perfection des finitions. D’autres ont choisi des voies beaucoup moins conventionnelles… Si vous avez la chance d’arpenter les chemins forestiers du sous-quartier des « Jardins », ne soyez pas surpris de tomber nez-à-nez avec un masque à gaz pourvu de cornes, de faux crânes portant des lunettes de soleil ou une collection hétéroclite d’une multitude d’objets détournés de leur usage d’origine à des fins artistiques. Au milieu de tout ça, un habitant apparaît ! Torse nu, cheveux blonds et longs, il commence à discuter très sympathiquement avec vous. Derrière lui, impossible de reconnaitre ce qui pourrait ressembler à une habitation et pourtant… c’est bien là qu’il vit ! Vous trouverez également des constructions en terre-paille aux allures de château-fort, des maisons en bois-cordé qui donnent aux murs extérieurs l’aspect d’une peau de girafe, des roulottes devenues presque invisibles derrière les extensions qui y ont été ajoutées et aussi des Kerterre, ces petites habitations originaires de Bretagne aux formes très arrondies faites de chaux, de chanvre et de sable. Ici, pas de barrière entre les maisons et encore moins de propriétés privées. Pour un nouveau venu, pas moyen de savoir s’il se trouve ‘chez’ quelqu’un ou bien sur les chemins de circulation. Personne ne peut le dire en fait. Avec l’habitude, on finit par connaitre les sentiers qu’il vaut mieux éviter pour ne pas déranger les gens dans leur intimité bien qu’aucun d’entre eux n’aurait l’idée de vous faire un reproche si vous passiez un peu trop près de sa maison. Cette absence de statut officiel et cette incertitude quant à leur légitimité à occuper les lieux dérange certains habitants. D’autres y voient une marque d’anticonformisme, un éternel poing levé contre une administration liberticide.
Mes hôtes
Je loge chez Josse et Isabelle (absente lors de mon séjour), des habitants de longue date très impliqués dans les affaires du quartier qui vivent dans une maison ‘conventionnelle’ (oui, il y en a aussi à la Baraque) qui a tout de même l’originalité d’avoir une façade de couleur ocre entièrement recouverte de dessins réalisés par un de leurs amis dans un style qui évoque celui de Keith Haring, là aussi en totale infraction envers les règles d’urbanisme. Si l’on observe les dessins de plus près, on s’aperçoit qu’ils représentent tous les aspects et la vie du quartier ! Josse et Isabelle vivent avec leur fille. Au moment de mon séjour, Laetitia, une amie de longue date et sa fille de onze ans partagent aussi les lieux. Devenue crudivore après en avoir découvert les bienfaits lors de recherches pour améliorer la santé de son compagnon atteint d’une maladie chronique, nos échanges ont alimentés mes réflexions en matière de régime alimentaire. C’est grâce à Laetitia que j’ai eu connaissance de la ferme de Vévy-Weron (5#) près de Namur et de la ferme Larock (6#), mes deux prochaines étapes.
Une journée à la Baraque
Pendant la journée, j’arpente les rues et les chemins du quartier le cœur ouvert à toutes les rencontres. Tiens ?! A quoi peut bien servir cette grande maison de maître où de nombreux vêtements serrés sur des penderies sont visibles à travers les grandes fenêtres du rez-de-chaussée ? Serait-ce une ressourcerie ? En discutant avec la jeune femme qui venait d’en sortir, je découvre que le bâtiment abrite une ASBL [1] au service de personnes en situation de handicap mental. Cette structure les emploie à trier des bouchons en plastique. La jeune femme m’invite même à passer du temps avec ces personnes. Moi qui n’ai jamais côtoyé de personnes en situation de handicap, c’est une très belle expérience ! Je me retrouve donc en présence de quatre personnes qui, à part l’une d’entre elles, ont une apparence tout à fait normale mais conversent avec moi à la manière d’enfants en bas-âge… Répétitions, incohérences, questions déplacées sorties de tout contexte… ce genre de situation, très déconcertante au début, ne peut qu’inviter au lâcher prise puisqu’on ne peut s’attendre à retrouver les ‘codes’ d’une conversation habituelle.
Un peu plus loin, je traverse les jardins partagés qui appartiennent aux habitants mais aussi à des personnes extérieures. Ce coin de verdure très travaillé est beau et apaisant. Je sympathise avec deux étudiantes qui se sont installées sur les lourds bancs de bois d’une petite esplanade pour dessiner les bâtiments visibles au loin. Un dernier bout de sentier très entouré de verdure et j’arrive à la Fatoria, le cœur du quartier. Une salle commune, moins utilisée qu’à une époque, sert de repère à tous. Nous y avons déjeuné tous ensemble après le chantier des places de parking. Juste à côté se trouve l’épicerie de quartier où j’ai participé à deux reprises au déchargement de l’arrivage hebdomadaire. Murielle tient le lieu de façon admirable avec l’aide de quelques bénévoles. Je jette un œil aux frigos extérieurs qui proposent gratuitement des produits invendus récupérés dans divers supermarchés. Derrière moi, l’atelier vélo où j’ai tenté, avec Vincent, un habitant des Bulles, de fabriquer une attache pour permettre de fixer une remorque sur un vélo. Je continue. Un peu plus loin je tombe sur deux personnes en train de réaliser l’aménagement d’un petit foodtruck. Sur ses flancs est écrit « A la découverte de l’excellence africaine ». Je sympathise avec Ali, un ancien habitant de la Baraque d’origine éthiopienne qui se lance dans la restauration. Je lui propose mon aide mais il a déjà suffisamment de moyens pour terminer dans quelques jours. Malheureusement, je n’aurai pas la chance de me régaler avec l’excellence africaine, question de timing.
J’entre à présent dans le quartier des Jardins, construit au milieu d’une forêt. C’est pour moi la plus belle partie de la Baraque. Frédéric, toujours torse nu et les cheveux longs et court à la fois, me reçoit très chaleureusement dans son jardin. Il vit dans une roulotte rendue presque invisible par l’ajout, de part et d’autre, de deux grandes extensions en « ballots de paille » [2] recouvertes d’un enduit en terre crue qu’il a construits lui-même avec l’aide et le savoir-faire de quelques habitants du quartier. J’aurai un autre jour le privilège d’en visiter l’intérieur et je dois dire que le résultat est bluffant ! Les volumes donnent un aspect très atypique. Les parois latérales de la roulotte ont été supprimées mais le châssis surélevé est toujours là et crée une différence de niveau au milieu de la maison. De même, les finitions dans des tons ocres sont impeccables et dégagent une atmosphère très chaleureuse. Les chambres de la seconde extension n’ont rien à envier aux habitations classiques. A l’extérieur et en compagnie de ses deux jeunes enfants, j’aide mon hôte à désherber ses plants de fraises. Leur caractère envahissant à la limite du quartier fait d’eux les nouveaux militants pour la défense du territoire de la Baraque, comme aime à plaisanter Frédéric.
A mon retour vers la maison de Josse, je traverse le quartier des Bulles, le seul véritable lieu où les habitants font tout en commun. Ils sont quatre garçons et vivent ensemble dans des dômes géodésiques d’aspects déconcertants. Celui-ci ressemble à une carapace de dinosaure, celui-là est recouvert de plaques d’imprimeurs en zinc. Bien qu’ils aient chacun leur dôme, la cuisine, le séjour et les douches sont mutualisées. J’aurai la chance d’interviewer deux des habitants qui me retiendront ensuite à dîner.
Voilà à quoi ressemblent mes journées au quartier alternatif de la Baraque. En plus de son riche passé, chaque rencontre est un point de vue différent sur le lieu et ses habitants. Les vies personnelles, rarement linéaires, s’entremêlent avec la vie des quartiers. Aujourd’hui, le collectif demeure présent dans les chantiers participatifs mais également lorsqu’émergent des sujets importants qui concernent tous les habitants. Pour la première fois de mon voyage, j’ai eu le privilège de participer à une réunion du collectif, la réunion « de grand quartier » qui s’est tenue en extérieur au « Zoo », un autre espace collectif. Sans rentrer dans les détails, les sujets abordés tournaient autour de la sécurité incendie et de la venue prochaine de représentants zapatistes. J’ai été frappé par le sérieux et l’efficacité dont tous les habitants ont su faire preuve malgré le grand nombre de participants. Même les enfants étaient présents et pouvaient intervenir. Ce type d’assemblée me semble indispensable à la cohésion mais aussi à la survie d’un collectif de ce genre. Bien qu’il y ait encore plein de chose à découvrir sur cette enclave hors du commun, la ferme de Vévy-Weron (5#) m’appelle…
Activités réalisées :
- Débroussaillement d’une allée de jardin
- Rangement de bois dans un salon
- Fabrication d’une attache pour pouvoir relier une remorque à un vélo
- Déballage et mise en rayon de marchandises dans une épicerie
- Participation à un chantier clandestin pour créer un parking en bord de route
- Coupe d’herbes hautes à la faux pour ouvrir une allée praticable
- Remise en état d’un mur de branche pour éviter son étalement et permettre l’ajout d’autres branches
- Taille d’une haie de saules
- Découpe et mise en place d’une latte de parquet et de l’isolant du dessous pour combler l’écart entre le parquet existant et le mur à la suite de la suppression de l’isolation du mur
- Désherbage de fraisiers
[1] Association Sans But Lucratif, dénomination propre à la Belgique.
[2] Technique de construction spécifique; en Belgique, les bottes de paille rectangulaires sont appelées « ballots » et les ballots ronds sont appelés « boules ».