Le voyage
Le voyage : pourquoi à vélo ?
L’idée de faire ce voyage à vélo (et non « en vélo ») n’a pas été immédiate. Elle est apparue quelques semaines après l’idée du projet pour ensuite s’imposer comme une évidence. Jusqu’à mon départ, je n’avais jamais fait de randonnée à vélo, c’est-à-dire de longs trajets sur plusieurs jours qui nécessitent d’emporter du matériel. Cependant, le vélo a toujours été pour moi un formidable outil. Dans toutes les étapes de ma vie, je l’ai utilisé pour les déplacements locaux notamment durant mes 20 années en région parisienne. Pendant mon Mastère Spécialisé à Lyon (voir page À propos), j’étais constamment dessus et lors de nos rendez-vous de promo hebdomadaire dans un des bars de la ville, les quelques ‘bikers’ que nous étions étaient toujours les premiers arrivés (et les derniers partis). En effet, cette rapidité, cette sensation de liberté, cette indépendance, cette ouverture sur le paysage qui nous entoure sont vraiment agréables, sans parler des facilités de stationnement et de la fluidité dans les embouteillages. Bien des fois me suis-je fais surprendre par la beauté d’une maison, d’un jardin ou d’un morceau de paysage que je n’avais jamais remarqué avant alors que j’avais déjà emprunté cette route en voiture des dizaines fois.
Sans vouloir rentrer dans la polémique « voiture contre vélo », ma propre expérience me pousse à dire que bien souvent, utiliser la voiture en ville est source de beaucoup plus de tracas que de se déplacer à vélo. Bien sûr, d’autres contraintes peuvent venir se rajouter et rendre difficile l’utilisation du vélo comme devoir déplacer du matériel ou des enfants bien que de plus en plus de solutions vélocipédiques se développent pour ces besoins. Pour finir, je comprends qu’il soit difficile d’entrevoir les bienfaits et le plaisir du vélo lorsqu’on n’a jamais osé essayer…
Enfin, il y a bien sûr l’aspect écologique. Etant une des valeurs qui sous-tend ce voyage, choisir le vélo apportait de la cohérence sur la forme en réduisant l’empreinte écologique. Et puis voyager à vélo a aussi pour effet de donner un vrai parfum d’aventure. Les distances quotidiennes sont moins longues qu’en voiture ce qui nécessite plus d’étapes. Les tracas et les avaries comme les crevaisons ou les chutes sont plus fréquents ce qui demande une préparation et un outillage adapté et parfois nécessitent de recourir à une aide extérieure. Et même si certains chemins empruntés étaient difficilement praticables à vélo, je me suis bien des fois réjouies, malgré la difficulté, de passer par des endroits que je n’aurais jamais vus si j’avais voyagé en voiture.
La configuration du matériel
Avant de partir
Avant mon départ, j’ai établi une liste d’une soixantaine de lieux que je voulais visiter. Pour les trouver, j’ai exploré différentes pistes que j’avais engrangé dans les mois précédant : annuaires des écolieux, associations de défense de l’agriculture, wwoof.fr, écolieux décrit dans certaines vidéos ou conférences, réseaux sociaux, bouche-à-oreille, projets similaires au miens ou autres sources plus anciennes… Grâce à chacune de ces pistes, j’ai identifié des lieux particuliers et j’ai pris connaissance du projet qui les portait. Je me suis ensuite interrogé pour savoir si ce projet me parlait et si je me sentais appelé par le lieu. Il n’y a jamais eu de critères précis pour décider si oui ou non un projet méritait d’être visité bien que les projets comprenant une vie collective avaient nettement ma préférence. Après cela, j’ai fait le choix de me fier aux informations disponibles sur internet et de contacter les lieux au fur-et-à-mesure de mon voyage.
Avec le recul, je me dis que j’aurais peut-être dû contacter tous les lieux listés avant le départ de façon à connaitre les modalités d’accueil, de prendre la température du groupe et affiner mon ressenti vis-à-vis du projet. En effet, une fois contactés, certains groupes ne pouvaient pas me recevoir… tout simplement parce que le projet avait été stoppé ! Dans tous les cas, même une fois parti, je me suis laissé une grande flexibilité dans l’itinéraire de façon à pourvoir ajouter les étapes qui m’étaient parfois vivement recommandées. De même, il m’est arrivé de me retrouver dans la situation délicate où mon séjour dans un lieu commençait à s’éterniser quelque peu et où je n’avais pas encore de réponse du lieu suivant ! Dans ce cas, j’identifiais un lieu supplémentaire en questionnant les personnes qui m’entouraient et m’y rendais ce qui me laissait le temps de recevoir la réponse que j’attendais. Cela m’a aussi permis de découvrir d’autres lieux et d’autres projets que je n’avais pas identifiés initialement.
3 jours de vélo maximum
Un autre élément qui a influencé mon parcours était de ne pas avoir plus de trois journées de vélo entre deux lieux. Etant malgré tout un débutant en matière de randonnée à vélo, il me paraissait plus sage de me fixer cette limite car même si mes objectifs de distance quotidienne étaient modérés, une certaine fatigue accumulée se faisait souvent ressentir à l’issue de ces trois jours. De plus, le fait de dormir chez l’habitant sans avoir prévenu à l’avance générait une forme de stress car je n’étais jamais certain de trouver une porte qui s’ouvre. Et même si cette façon de faire était beaucoup plus confortable et m’offrait un meilleur sommeil que de bivouaquer, je n’étais pas prêt à renouveler l’exercice plus de deux fois d’affilé.
Une semaine dans chaque lieu
Concernant le format, j’ai dès le début choisi un format court à savoir rester une semaine dans chaque lieu. L’idée était de découvrir un maximum de projets pour rendre compte de leur diversité. Beaucoup de personnes ont été interpelés par ce choix et m’ont interrogé sur sa pertinence. Même si une semaine peut paraitre court, j’ai eu le sentiment de pouvoir malgré tout percevoir l’atmosphère du lieu, l’ambiance du groupe, de m’intégrer dans les routines quotidiennes, d’entrevoir la personnalité des habitant.es et surtout, de voir ce qui ne se dit pas… les tensions, les engueulades, les frictions, les dysfonctionnements dans l’organisation, les confessions de certain.es habitant.es du lieu… A la fin de la semaine, j’ai presque toujours eu la sensation que rester plus longtemps ne m’apporterait pas beaucoup plus d’informations même s’il est vrai que le programme et les activités pouvaient être très différents d’une semaine à l’autre et à chaque fois créer une atmosphère particulière.
Quelques photos des lieux traversés à vélo
Jusqu’à quand ?
Lorsque j’ai commencé ce voyage, je n’avais pas de date de fin. Je plaisantais avec mes amis en leur disant que j’allais peut-être garder ce mode de vie pendant dix ans ! Je suis parti en ayant la chance de ne pas avoir de contraintes d’aucune sorte qui m’auraient obligé à rentrer à une date fixe. Mais au fil du temps, rencontres après rencontre, j’ai commencé à ressentir une certaine lassitude. Arriver dans un nouveau lieu, prendre connaissance des locaux, s’adapter aux horaires et au rythme de vie, s’habituer à l’atmosphère du lieu, rencontrer de nouvelles personnes, s’ajuster à leur personnalité puis remonter sur le vélo et tout recommencer dans un autre lieu… ce mode de vie a quelque chose d’éprouvant et ne peut durer qu’un temps. Néanmoins, certaines personnes sont tout à fait aguerries à la vie nomade…
Anecdote de l’auto-danseur
Parmi les nombreuses et merveilleuses rencontres que ce voyage m’a permis de faire, l’une d’entre elles m’a fait voir la vie nomade autrement. Alors que je séjournais depuis quelques jours à peine dans la communauté de Nogarêve (31#) dans la chaleur printanière de l’Hérault, un nouveau venu, Pascal, un homme d’à peine quarante ans, s’est présenté. Après avoir échangé nos prénoms, je lui ai décrit ce qui aujourd’hui constituait mon activité principale :
« Je voyage à vélo depuis un an pour rencontrer celles et ceux qui vivent différemment. Et toi ? lui ai-je demandé.
– Et bien moi, je fais la même chose que toi mais en stop et depuis cinq ans, m’a-t-il répondu.
– !!! »
J’étais abasourdi par sa réponse ! Il m’expliqua par la suite qu’il se déplaçait aux quatre coins du pays au gré des stages, des festivals et des rencontres axées sur la danse. En effet, son fil conducteur n’était pas le vivre autrement mais tout ce qui touchait à la danse étant lui-même féru de cet art. C’était d’ailleurs pour cette raison que nos chemins s’étaient croisé puisqu’un stage de danse suivi d’un bal folk était au programme de la semaine. Il me confia également qu’avant de se lancer dans ce mode de vie hors normes, il s’était essayé à la sédentarité. Il avait même construit une maison pour ensuite s’apercevoir que cela ne lui convenait pas du tout à tel point qu’il en venait à développer des troubles psychologiques…
Pascal se déplaçait toujours en stop et lorsque l’argent venait à lui manquer, il travaillait sur des chantiers de construction. Il a d’ailleurs prêté main forte au chantier en cours sur le lieu où nous étions et j’ai appris grâce à lui la façon de percer correctement une poutre en acier de forte épaisseur et avec un gros diamètre. Malgré ses incessants déplacements, il s’était constitué une bande d’amis et de connaissances qu’il recroisait régulièrement souvent aux mêmes endroits. La façon dont lui et certains habitants du lieu se sont étreints lors de leurs retrouvailles en disaient long sur les liens d’amitié qui les unissaient. Je n’avais pas cette chance au cours de mon voyage et même si le courant passait bien avec certaines personnes rencontrées, je n’avais aucun vécu avec elles. Notre relation ne pouvait donc être sous-tendue par un affect aussi fort. Or c’est justement cet affect qui crée les vrais liens entre les personnes et qui est la base des relations nourrissantes.
Heureusement, entre certaines étapes, j’ai pu passer un peu de temps chez des oncles et tantes et chez des amis de longues dates ce qui donne vraiment l’impression de se recharger émotionnellement et de combattre quelque peu cette paradoxale solitude.
C’est pourquoi, au bout d’un an et demi de voyage, parce que l’hiver se profilait et qu’il rend les déplacements à vélo plus difficiles et aussi parce que je voyais la boucle à travers la France se boucler, j’ai décidé de rentré chez moi, le but était atteint. Bien sûr je vais continuer à visiter d’autres écolieux mais sous un autre format. Pour les moins éloignés de chez moi, le vélo sera toujours à mes côtés mais ce sera sans enchaîner plusieurs lieux au cours d’un même déplacement.
Les chiffres
Lieu de départ
près de l’Aigle
Lieu d’arrivée
au même endroit
+ 8 lieux visités pour une journée
passées à vélo
1 sur le vélo, au moins 8 sur la remorque
3 chutes et 2 basculements de remorque
dont 1 remorquage
hébergements chez l’habitant
dont 4 semi-bivouacs (accueil chez l’habitant mais couchage sous ma tente) + 3 échecs
Et après ?
Lorsque j’ai entrepris ce voyage, je n’étais pas contre l’idée de m’installer dans un des lieux que je visiterai même si une partie de moi n’y croyait pas. De plus, je m’étais fixé pour objectif de boucler le tour de la France et de visiter chacun des lieux que j’avais retenu dans ma liste. Quand bien même j’aurais eu un coup de cœur pour l’un d’eux, j’aurais persévéré pour remplir cet objectif. Et même si certains lieux se démarquaient des autres notamment par la qualité des rapports humains et par l’atmosphère qui y régnait, je ne suis pas parvenu à m’y projeter sur le long terme. A chaque étape, c’était comme s’il manquait quelque chose… C’est pourquoi, à l’issue de ce voyage, force est de constater que le seul moyen qu’il me reste pour vivre dans un écolieu qui me convienne soit d’en créer un selon mes propres critères. Bien sûr, il ne faut pas y voir du mépris envers les différents projets que j’ai eu la chance de découvrir. Chacun d’eux possède un trésor caché que ce voyage m’a permis de révéler. Et si des personnes y vivent, c’est qu’ils ont au moins la faculté de répondre aux attentes et de correspondre à la personnalité de certains. Mais ma conception des choses est trop éloignée de ce que j’ai vu pour espérer pouvoir y transformer les choses de l’intérieur jusqu’à atteindre un état suffisamment proche de ma vision pour m’y sentir bien.
Même si cela ne faisait pas parti des objectifs initiaux de mon voyage, le fait de partager mon expérience au plus grand nombre me semble à présent incontournable. En effet, étant convaincu par la pertinence du mode de vie collectif, si mon initiative peut inspirer d’autres personnes en le faisant connaître, les effets ne pourront que servir ma vision des choses. C’est pourquoi, au moment où j’écris ces lignes, cette activité est ce que je considère comme mon activité principale et à laquelle je m’efforce de consacrer le plus de temps et d’énergie.
En plus de ce site internet, j’envisage de faire découvrir mon voyage sous la forme de conférences. Je me suis déjà prêté à l’exercice dans certains lieux visités et je dois dire qu’en plus d’éprouver un réel plaisir à le faire, le retour des participant est toujours positif et cela m’encourage à poursuivre dans cette voie. De plus, des conférences peuvent se tenir sur des sujets connexes aux les écolieux. Y participer me permettra de toucher des personnes qui ne sont pas directement intéressées par ce sujet. De même, le fait de présenter quelque chose à l’oral permet plus de liberté et permet d’adapter ses propos à son auditoire et au contexte et de répondre à des questions qui ne me seraient pas venues à l’esprit. Enfin, être directement au contact des gens rend cet exercice de communication plus humain. Je vois aussi ce format comme un tremplin pour la seconde partie de mon projet : la création d’un écolieu. En effet, il est possible de rencontrer immédiatement à la fin de la conférence les personnes les plus réceptives à mes idées, de pouvoir m’en faire une à leur sujet et pourquoi pas construire quelque chose ensemble…