3# Ferme de Bio-Mesnil : un destin familial

La baie des cochons
La baie de Somme m’a toujours attiré, pas vraiment l’endroit mais simplement ce nom maintes fois cité dans les livres, les actualités et les récits de voyage. Cela ne représentait pas un gros détour et c’était l’occasion de voir une dernière fois la mer. En effet, la façon dont les lieux à visiter allaient s’enchaîner ne me faisaient pas affleurer la côte avant … la Bretagne, ce qui correspondait presque à la fin de mon voyage.

Quelle déception ! Certes le paysage et les couleurs qu’il offre ainsi que la ville de Saint-Valery-sur-Somme sont très beaux mais ni vers le large, ni vers l’estuaire de la Somme le chemin n’est praticable pour se promener à pied et encore moins à vélo. Il faut choisir entre la vase accidentée et les herbes sauvages piquantes entrecoupées de canaux infranchissables. Pourtant, la plupart de mes hôtes des jours précédents m’avaient vanté les mérites du lieu et m’avaient assuré qu’une promenade des plus plaisantes était possible. Ils auraient dû préciser qu’il ne fallait pas espérer pouvoir déambuler au bord de l’eau et que le seul chemin praticable se trouvait à plusieurs centaines de mètres du rivage. De plus, en descendant vers la partie basse de la ville par un chemin en lacet recouvert de gros cailloux, j’ai subi ma première chute majeure à vélo. Je m’en tirais, en plus de la honte de me retrouver par terre sous les yeux des promeneurs, avec un genou plein de sang et, après que l’adrénaline de l’incident se soit dissipée, avec une côte probablement fêlée !
Bref, après quelques errances et quelques pas malgré tout fort agréables sur la promenade de la ville, j’ai contacté mes futurs hôtes pour leur demander si je pouvais arriver le soir même. En effet, j’étais en quelque sorte trop près pour arriver le lendemain et un petit peu trop loin pour arriver le jour même. Mais devant la relative déception vis-à-vis de cette baie tant appréciée par les connaisseurs et ayant déjà effectué trois haltes depuis mon départ de l’Ecocircus, j’ai préféré arriver sans plus tarder. Ils étaient d’accord.
C’est peut-être une sorte d’expression de loi de Murphy. A chaque fois que je suis sur le point d’arriver dans un nouveau lieu, je « vis un enfer ! » tel que se plaisent à le formuler mes amis proches. Cela peut prendre différentes formes : une montée anormalement abrupte, un chemin quasi inexistant à travers une forêt ou entre deux prés, une pluie soutenue ou encore mon téléphone qui s’éteint me privant ainsi de la route à suivre. Parfois, ces évènements peuvent même se cumuler ! Cette fois, c’était le chemin quasi inexistant entre deux prés qui était à l’œuvre, ce genre de chemin que seuls les tracteurs empruntent pour se rendre dans le champ où ils doivent travailler. Heureusement, nous sommes dans la Somme, un territoire relativement plat. La remorque n’est pas pour faciliter les choses. Elle augmente le frottement de l’herbe sur l’ensemble et rend la progression plus difficile. Mais je sais que je ne suis plus qu’à quelques kilomètres de ma destination, un lieu où je sais que je vais rester sédentaire pendant une semaine.
La ferme
Bio-Mesnil est une ferme ancienne en briques rouges le long de la route qui traverse le village. Certaines parties ont été rénovées et sont à présent habitables mais une grande partie demeure à l’état brut, « dans son jus » comme on dit. En arrière des bâtiments se trouvent les parcelles maraîchères et les immenses tunnels pour un total de 1,2ha.
Virginie et Nicolas se sont installés en 2019 dans cette ferme restée sans activité pendant 15 ans et qui appartenait aux parents de Nicolas. A mon arrivée, Virginie avait accouché une semaine plus tôt d’une charmante petite Marianne. En fait, elle est née quasiment le même jour que les chevreaux de l’Ecocircus. La pleine lune a fait son travail !
Pour être honnête, j’ai retenu ce lieu pour deux raisons. Premièrement, il se trouve sur mon chemin, dans le sens où il ne représente pas de détour pour aller de l’étape précédente à l’étape suivante et deuxièmement, Virginie est la tante d’un de mes anciens collègues chez Safran. Devenu aujourd’hui un de mes meilleurs amis, il m’avait parlé de ce projet et d’une de ses amies qui y avait fait du wwoofing. Le coté vivre autrement n’était pas réellement présent mais ce lien ténu avec les propriétaires m’amusait. Aussi ai-je été surpris de trouver une femme pas beaucoup plus âgée que mon ami et qui elle-même s’amusait à dire qu’ils pourraient aussi bien être frère et sœur que tante et neveu.
Un clair-obscur
Je dois avouer que j’ai un sentiment mitigé par rapport à cette semaine. Même si le gite que je partage avec un autre wwoofeur est confortable et les activités suffisamment variées pour ne pas s’ennuyer, nous ne prenons tous ensemble que le repas du midi ce qui ne facilite pas le rapprochement entre les wwoofeurs et les hôtes. Dès que 17h sonne, nous prenons congés de nos hôtes jusqu’au lendemain matin. Je comprends que les choses ne soient pas forcément faciles pour ce couple en raison de cette naissance très récente, mais je n’ai retrouvé aucunement la convivialité, l’amitié et la bienveillance que j’ai ressenti lors des deux étapes précédentes. Le wwoofeur ne contribue en rien à améliorer les choses. Tous parlent d’une voix très grave et plutôt monocorde pour s’exprimer. Souvent, je n’ai droit à aucune réaction de leur part lorsque je m’exprime sur un sujet, même pas un « ok » ou un petit bruit bouche fermé ne serait-ce que pour me signifier qu’ils ont entendu mes paroles. C’est à tel point que bien des fois où j’aurais aimé m’exprimer, j’y ai renoncé car je savais que mon intervention ne susciterait aucune réaction. Par mimétisme, j’ai fini pas adopter ce même comportement : réponses froides et laconiques, parfois sans intention de véritablement apporter quelque chose à mon interlocuteur.

Malgré tout, Nicolas n’est pas avare d’explications pendant le travail lorsqu’une question sur son métier lui est posée comme lorsque je m’étonne de la nécessité de tendre les bâches qui recouvrent la terre à l’aide d’une sangle à cliquet. Il m’explique que, dans la région, les vents sont tels que rien ne peut les empêcher de soulever et de déchirer ces bâches si elles ne sont pas extrêmement tendues, pas même les nombreux sacs de sable de 5kg.
De même, il arrive souvent que le travail se découpe de façon à ce qu’une demi-journée soit faite de plusieurs petites tâches rapides à effectuer. Cela permet de ne pas s’ennuyer, de ne pas se démoraliser devant l’ampleur de la tâche et de pouvoir se féliciter d’une nouvelle petite victoire dès qu’une activité est terminée. L’optimisation du labeur est pour moi une constante préoccupation… pour ne pas dire une obsession. Mais dans cette quête du moindre effort, tenir compte des aspects psychologiques de la besogne est primordial et cette façon d’organiser le travail en est un bon exemple. Une multitude d’autres exemples s’est manifestée à moi durant la suite du voyage.
Wwoof wwoof !!!
Revenons au wwoofeur. Comme avec nos hôtes, j’avais le sentiment que le courant ne passait pas entre nous. Fervent écologiste et doté d’un passé militant de plusieurs années, il souhaitait à présent lui aussi se reconvertir dans le maraîchage. Puisque nous prenions tous nos repas du soir ensemble, la question du végétarisme est arrivée un soir sur la table. Il se disait végétarien modéré dans le sens où il ne faisait pas du fait de manger de la viande une interdiction formelle mais il s’en passait la plupart du temps. Je lui dis que, personnellement, je parvenais à ne manger de la viande qu’un repas sur deux ou sur trois. Il m’a alors sermonné, toujours avec une voix grave et monocorde entrecoupée de petits sourires indéchiffrables, pour me faire comprendre que le végétarisme était un pas important vers un mode de vie plus écologique. Je me suis senti attaqué. C’était un sentiment étrange car d’une part, je ressentais le besoin de me justifier en arguant que mon comportement contribuait malgré tout à la réduction de la consommation de viande et d’autre part, j’avais la sensation que les rôles étaient inversés par rapport à la majorité des conversations que j’avais pu avoir sur des sujets écologistes. Habituellement, c’était moi le citoyen exemplaire et mon interlocuteur était forcément en retrait dans la progression vers un comportement écologique puisque, bien souvent, il n’était même pas convaincu par la pertinence et l’importance du sujet de façon générale. Bien que mon discours se soit adouci au fil du temps, il conservait des reliquats de ton accusateur et, bien souvent, je ne me parvenais pas à remporter l’adhésion de la personne. Ici, c’était moi l’« accusé ». Je ressentais à présent la même chose que les nombreuses personnes que j’avais pu interpeler sur ces sujets en les exhortant à changer leur posture. Au-delà du sujet en lui-même, c’était une leçon sur la façon de communiquer avec les autres sur un thème aussi complexe et pour moi revêtant une importance viscérale qu’est l’écologie. Personne n’aime s’entendre dire qu’il fait mal les choses…
Sur l’instant, je n’ai pas su trouver les mots pour lui exprimer le fond de ma pensée mais avec le recul, je lui dirais que la qualité de la communication et la façon dont on amène le sujet est primordial. En effet, il est contre-productif de faire en sorte que la personne se sente accusée de mauvais comportement. Ce jour-là, nous étions entre écologistes convaincus bien que, de toute évidence, pas aussi avancés dans notre progression. Un dialogue décontracté et, encore une fois, bienveillant aurait été plus utile à chacun d’entre nous. Même si aujourd’hui je me considère toujours en progression sur la question du végétarisme, son discours accusateur ne m’a en aucun cas convaincu.
Dès le début de mon voyage, je savais bien que tous les endroits où j’allai me rendre ne pouvaient pas tous être paradisiaques et que dans certains lieux, les choses se passeraient mieux que dans d’autres. Il était néanmoins désagréable qu’une telle déception survienne aussi tôt.
Cap sur la Belgique
Il faisait un froid de louve le jour où je suis parti et j’ai du gardé le coupe-vent pendant toute ma journée de vélo. Ayant dû faire un départ précipité, c’est lors de la pause déjeuner que j’ai réalisé les opérations de maintenance sur mon vélo. Par la suite je me suis fixé comme principe de toujours effectuer une petite révision la veille de mon départ d’un lieu visité. De cette façon, je garde un matériel relativement bien entretenu, la fréquence de ces révisions étant acceptable, et surtout, je ne suis pas dans l’impatience du départ. Ainsi, si je renonce à regonfler mes pneus, c’est véritablement parce qu’ils sont bien gonflés et non parce que je ne veux pas perdre plus de temps compte tenu de la journée de vélo qui m’attend. De plus, cela me permet de prendre les devants si un problème plus grave est constaté.
A présent, je me dirigeais comme prévu vers la Belgique. La première halte pour la nuit a été l’une des plus agréable de tout mon voyage. Dans le village d’Acq qui pourtant n’était pas tout à fait sur mon trajet, j’ai rencontré Amandine et Nicolas. J’arrivais avec tout mon matériel sur la petite place du village où plusieurs personnes étaient assisent à la terrasse du café. J’observais de loin les personnes attablées en vue de trouver la situation la plus favorable. Un jeune père debout sur le bord du trottoir gardait un œil sur son fils de deux ans et demi. « Des personnes avec un enfant en bas âge ? Ils n’accepteront jamais d’héberger un étranger chez eux ! », pensais-je. Juste à côté, une tablée d’environ six personnes était en plein apéritif. Je tentais ma chance auprès d’eux en leur déclamant mon discours pas encore rodé mais qui allait devenir habituel (voir Tester l’hospitalité des gens). Une jeune femme a alors pris la parole : « Ce serait avec plaisir mais j’ai tout ce monde-là à la maison ce soir alors ça ne va pas être possible » dit-elle en désignant les personnes autour d’elle. Mais elle ajouta : « Demandez aux personnes derrière nous ! ». Il s’agissait du jeune père qui occupait une table avec trois autres personnes. Malgré mes réticences et parce qu’ils avaient certainement entendu mon intervention à la table d’à côté, je me suis senti obligé de leur faire ma demande. Je me souviendrais toute ma vie du visage d’Amandine, la mère de l’enfant qui presque immédiatement m’a répondu avec un léger mouvement du visage : « Oh bah… oui. » comme si c’était tout naturel.
Le succès de ce démarchage n’est jamais assuré, et même avec le temps et les victoires accumulées, c’est toujours une vive joie intérieure de rencontrer l‘ouverture et la générosité des gens, surtout après une journée d’efforts. De même, cette anecdote et beaucoup d’autres m’ont convaincu qu’il n’y avait pas de règles permettant de prédire si tel ou tel foyer allait accepter ou non de me recevoir. « Ils doivent être trop jeunes », « Ils doivent être trop âgés », « La maison est trop cossue », « Le portail est trop haut » sont autant de prétextes pour ne pas oser frapper à la porte. Celle-ci s’ouvre parfois contre toute attente en dépit de la première impression. A l’inverse, des maisons où toutes les conditions semblaient réunies pour pouvoir être accueilli me sont restées fermées.
Un détour par le Canada

Par la suite, j’ai été très bien reçu par Amandine et Nicolas. Nos échanges étaient vivants, intéressants, bienveillants et enjoués… tout le contraire de ce que j’avais vécu durant la semaine. En 16 heures passées en leur compagnie, j’avais plus échangé et plus appris sur eux qu’avec les personnes de la ferme du Bio-Mesnil pourtant côtoyées pendant une semaine entière. On pouvait même dire qu’un début d’amitié était en train de naître. Nicolas, passionné par la 1ère guerre mondiale dont les nombreuses batailles avaient fait rage dans la région, alla jusqu’à me proposer de visiter le mémorial de Vimy, site incontournable de la guerre qui avait la particularité d’être aujourd’hui un territoire canadien ! Après un détour par les ruines de l’Abbaye du Mont Saint-Eloi, nous nous y sommes donc rendu avec son fils le lendemain de notre rencontre en mettant vélo et remorque dans la voiture. Après le départ de Nicolas et un pique-nique plus tard, j’ai repris ma route.
Activités réalisées :
- Désherbage de passe-pieds
- Arrachage de pousses de menthe glaciale et marocaines en vue de les replanter
- Arrachage de plants de cerfeuil et de blettes montés en graines
- Désherbage de blettes
- Retrait des agrafes et pliage de bâches
- Expérimentation d’un outillage pour faciliter le retrait des agrafes qui fixent les bâches au sol
- Egourmandage de plants de concombre
- Rectification du poids et lavage de bottes de carottes
- Ficelage de tiges de fèves sur filet
- Plantation d’aubergines
- Étalage de tonte d’herbe sur des passe-pieds
- Arrachage de salades
- Mise en place de bâches et tension avec une sangle à cliquet
- Plantation de choux
- Remplissage de plaques de semis avec du terreau
L’interview
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