10# La maison forestière de la Soye : pour un tourisme naturel
Sur mon trajet jusqu’à la maison forestière de la Soye, je fais halte dans la belle cité de Lunéville. Celle-ci possède un château occupé au XVIIIème siècle par le duc Stanislas de Leczinski, père de Marie de Leczinsca, épouse du roi Louis XV, ce même Stanislas qui a fait construire le château de Commercy et à qui est dédiée la place Stanislas, un des joyaux de la ville de Nancy.
Si vous observer attentivement la carte de mes déplacements vous constaterez que cette nouvelle étape représente un détour vers l’Est d’environ 130km et de deux jours à vélo. En effet, pour choisir les lieux à visités, je n’ai pas de critères précis et je décide de m’y rendre si j’ai un coup de cœur. À l’orée de Soye en est une belle illustration. Je me suis senti appelé par ce lieu et part ce projet et même si cela n’a pas toujours été le cas au cours de mon voyage, je n’ai pas été déçu cette fois-ci !
Les Vosges ?
Une fois arrivé dans les contrées les plus orientales de la Meurthe-et-Moselle, tout m’évoque le massif des Vosges. Les forêts denses de grands sapins, les petites routes et chemins qui serpentent entres les arbres et un relief modéré font écho avec mes images d’Epinal. Pourtant, après vérification, la Maison de la Soye se situe vraiment en périphérie du massif. Dans tous les cas, l’endroit est magnifique et très dépaysant. Après de nouveaux égarements sur des chemins forestiers qui ne mènent nulle part, j’aperçois Cécile, mon hôte, et une autre dame en train de se promener sur la route en contrebas de la maison. A une minute près, je suis à l’heure sur l’horaire que Cécile m’avait spécifié et elle prend gentiment le temps de me montrer les lieux et ma chambre avant de s’éclipser pour la soirée. C’est une belle marque de confiance.
Promenons-nous dans les bois
Nous n’avons pas vraiment le temps de faire connaissance puisque dès le lendemain, avec le soutien d’Aude et Olivier, nous partons dans la forêt pour récupérer du grillage, ce haut grillage qui permet de restreindre l’accès de certaines parcelles aux cervidés et laisse ainsi une chance aux jeunes arbres de pousser. Avec l’autorisation du garde forestier que Cécile connaît bien, nous nous attelons à couper les cavaliers et le bas du grillage puisqu’il est enterré sur au moins 30 cm et à déterrer les gros pieux qui le soutiennent. Les deux fils de Cécile, Timéo et Yanael, 8 ans et 10 ans, sont aussi de la partie et mettent une belle énergie dans cette tâche ardue. En vrais fils de la montagne, ils sont habitués à évoluer dans la nature et sont de véritables hommes des bois ! Ils bondissent hors du véhicule lorsqu’il faut lever une barrière ou ouvrir un portail et portent courageusement les poteaux jusqu’à la remorque. Ils savent aussi dans le dialogue faire preuve d’une maturité étonnante !
Ce grillage est destiné à entourer un enclos à cochons de 25x25m, car pour le moment, les deux pauvres bêtes sont cantonnées dans une petite étable. Pour que ces animaux à la force considérable ne puissent pas s’échapper, le grillage doit être solidement fixé et doit empêcher toute tentative de contournement pas le dessous. Avec l’aide d’un voisin, nous creusons les trous à la barre à mine et enfonçons les pieux profondément dans le sol. Mais pour sécuriser l’endroit, cela ne suffit pas et je serai plus tard chargé de planter des isolateur « queues de cochon » dans chaque poteau à 20 et 40cm du sol pour porter les futurs fils électriques de la clôture.
Pour que les porcs puissent bénéficier d’un confort maximum, ils ont également besoin d’un endroit abrité et le plus fermé possible. Sous une chaleur sans excès, ma mission est de restaurer la cabane existante, trop ouverte et fragile pour être utilisable en l’état. Je passe donc plusieurs journées à visser, dévisser, arracher, couper de nouvelles planches de bois et aussi des dosses, ces parties périphériques d’un tronc découpées en premier et en dernier lors de la transformation en planches, récupérées à la scierie la plus proche. Il faut aussi changer les charnières et le verrou de la porte pour les humains, trop rouillée pour être en état de jouer leur rôle et installer un morceau de grillage sur la ‘fenêtre’ de la cabane. Il est plaisant de participer à un projet sur la durée plutôt qu’à une succession de petites tâches rapidement exécutée mais dont le souvenir s’efface rapidement et dont la fierté une fois qu’elles sont accomplies est limitée. D’autant que c’est typiquement le genre de travail que j’apprécie car même si la visseuse et la scie sont des outils que je maitrise, il demande créativité, adaptation, capacité à prendre des décisions et dextérité dans l’exécution. Je me rappelle une fin d’après-midi où même si la fatigue était présente, la joie de travailler et la volonté de finir la tâche en cours ont déclenché en moi une sorte de montée d’adrénaline qui m’a galvanisé. Je n’étais plus moi-même, j’étais devenu une machine ! Je ne ressentais plus la fatigue. Même si cette sensation rare a un côté plaisant, je dirais, avec le recul, il n’est pas bon de la laisser se prolonger trop longtemps car elle peut amener à faire des erreurs qui peuvent entraîner un accident. Heureusement, cela n’a pas été le cas ce jour-là.
Le projet
Le projet de Cécile qui s’intitule « À l’orée de Soi »[1] est simple : créer un lieu d’accueil pour recréer du lien entre la Nature et les Hommes et entre les Hommes. Concrètement, l’idée est de proposer différents types d’hébergements comme des chambres dans la maison, des emplacements sur un petit terrain de camping qu’elle a fait aménager ou des habitats insolites sur le terrain. Récemment sortie d’une relation destructrice avec son ex-mari, elle a décidé il y a seulement un an de racheter cette maison et de lancer ce projet. Elle envisage, dans un second temps, d’accueillir des habitants sur le long terme mais elle n’est pas pressée et préfère que le projet initial soit bien lancé avant d’ouvrir cette seconde phase. Aude et Olivier qu’elle ne connaît que depuis l’année dernière mais avec qui le courant passe bien et qui sont dans une phase de questionnement sont pressentis pour faire partie des nouveaux habitants.
Cécile a encore du travail. L’étape suivante est de finir la phytoépuration, de casser l’actuelle salle de bain pour en faire sa chambre, de finir la salle de bain à l’étage et d’aménager les combles. Avec olivier, je participe à la découpe et à la pose de planches dans la nouvelle salle de bain. Malgré tout, cela fonctionne déjà ! Des ouvriers polonais en détachement dans la région et un père et sa fille de 5 ans font partie des clients présents pendant mon séjour. Ce dernier me raconte qu’il travaille pour une grosse société alsacienne qui conditionne… des escargots ! Et il m’explique tout le processus depuis la « cueillette » jusqu’à l’assiette.
Un voisin très apprécié
Parmi les soutiens de Cécile, il y a Benoît. Apiculteur de métier, il est le gardien d’un grand relais de chasse à deux pas de la maison. Il connait bien cet univers et nous explique ce que signifie être un « chasseur responsable ». Il s’agit, par exemple, de toujours tirer depuis les petites tourelles d’observation ce qui oblige à tirer vers le bas et évite ainsi que des balles perdues ne parcours des kilomètres et ne viennent blesser des bêtes, ou même des personnes. De même, un chasseur responsable ne tire que s’il est sûr de tuer l’animal. Si par erreur il ne fait que le blesser, lui et ses confrères se font un devoir de le retrouver pour ne pas le laisser souffrir.
Un soir, nous nous rendons chez Benoit. Comme c’est l’heure de rentrer les volailles, lui et les enfants se font une joie de mettre tout le monde à l’abri. C’est l’occasion de découvrir les deux magnifiques paons blancs que compte la basse-cour. Je suis interpelé par la camionnette qui se trouve sur le parking. Des petites abeilles y sont dessinées ça et là et un encart renseigne la marque et les coordonnées de Benoît. Elle est aussi barrée de bandes jaunes et noires et des messages d’alerte indiquant « Attention, transport d’abeilles ». En effet, comme les pompiers ne le font plus et que cela demande des aptitudes particulières, Benoit a aussi pour activité d’intervenir lorsque des nids d’abeilles présentent un risque pour la population. Les garçons aiment beaucoup Benoît et Yanael a déjà commencé à apprendre son métier. Comme les combles ne sont pas encore aménagées dans la maison de Cécile, ce sont ses abeilles qui occupent l’espace et du jardin on peut les apercevoir entrer et sortir par la petite ‘meurtrière’. Le jeune garçon a soif d’apprendre et écoute patiemment les quelques explications que je lui donne sur les sujets qui se présentent. Parfois, son visage se tord d’une grimace lorsqu’il est déconcerté par ce que je lui en train de lui raconter.
L’éducation en trame de fond
Cécile est enseignante de profession et elle se bat pour que l’instruction en famille (IEF) puisse se développer. Elle se démène comme elle peut pour éduquer ses enfants. Malgré ses efforts, j’ai constaté que les garçons n’étaient pas toujours très obéissants et qu’ils s’offraient souvent la liberté de manquer de respect à leur mère. En tant qu’observateur extérieur, je m’étais mis en tête de les prendre à part pour leur en toucher un mot avant mon départ mais les circonstances ne me l’ont pas permis. A leur âge, je les considère suffisamment matures pour comprendre mon point de vue et au moins leur faire réaliser tout ce que leur mère fait pour eux au quotidien et l’énergie qu’elle dépense pour mener à bien son projet.
Pour la première fois de l’été, il fait vraiment chaud le jours où je reprends mon vélo et un arrêt baignade au lac de Pierre-Percé s’impose ! Malheureusement, je n’aurai pas la joie de voir gambader les cochons dans leur nouvel enclos et de profiter de leurs nouveaux appartements. Je suis malgré tout heureux d’avoir fait un peu avancer le rêve de cette femme méritante et je lui souhaite beaucoup de réussite.
Activités réalisées :
- Découpe et pose d’un grillage avec poteaux pour réaliser un enclos à bétail et pose d’isolateurs
- Réparation et renforcement d’un abris à cochons
- Réparation d’une cage à lapin en triangle
- Découpe et pose de supports pour un bardage dans une salle de bain
[1] « Soie » ou « soye » signifie « scierie » dans le patois local