11# Ecolonie : travail et spiritualité
Enfin une vraie communauté !
J’étais très excité à l’idée de me rendre à Ecolonie. « Enfin une ‘vraie communauté’ » me disais-je. De plus, il apparaissait clairement que le fonctionnement de cette communauté était structuré par de nombreuses règles. C’est pourquoi je me disais que cette expérience allait être une bonne façon de « mettre à l’épreuve ma capacité à respecter les règles ». Même si des règles étaient présentes dans les lieux précédemment visités, elles n’étaient pas forcement écrites et surtout, pas aussi détaillées. De plus, bien souvent, rien n’était fait pour astreindre les membres du groupe à respecter ces règles et elles finissent par être contournées et plus du tout respectées…
La nuit précédant mon arrivée, n’ayant pas trouvé d’hébergement, j’ai dormi dans mon premier ‘semi-bivouac’. C’est lorsque des personnes acceptent de me recevoir pour la nuit mais n’ont pas la capacité de me loger alors elles m’autorisent à monter ma tente dans leur jardin. Une sympathique rencontre de plus. Cet arrêt m’a aussi permis de réviser le montage de ma tente… qui allait beaucoup me servir…
Une arrivée mouvementée…
Les derniers kilomètres à vélo ont été longs et pénibles… Des sentiers forestiers interminables avec une couverture GPS quasi inexistante ce qui laissait planner le doute quant au suivi du bon itinéraire et l’heure d’arrivée qui se rapprochait faisaient monter la pression. Au bout d’un moment, je me suis résolu à prévenir mes futurs hôtes de mon retard pour le diner mais comment les joindre sans réseau ? Profitant d’une toute petite fenêtre où je captais, j’ai appelé le site et miracle ! une personne m’a répondu et m’a rassurée sur les conséquences de mon retard. A cet instant, je ne sais pas ce qui s’est passé en moi mais probablement une énorme décharge d’adrénaline. Je suis remonté sur le vélo et me suis mis à fendre l’air à 25km/h alors que je plafonnais à 12 depuis un bon moment. De la même façon que chez Cécile pour la réparation de l’abri à cochons (voir la maison forestière de la Soye 10#), je n’étais plus moi-même ! Je fonçais tête baissée sans plus ressentir la moindre fatigue et sans me douter que j’allais droit à la catastrophe…
Après plusieurs minutes de cette course effrénée toujours sur des allées forestières sableuses et alors que j’apercevais enfin la départementale, un nid de poule probablement plus profond que les autres a suffi à propulser la roue droite de ma remorque suffisamment haut pour la faire basculer et se renverser sur le côté envoyant ainsi valdinguer une bonne partie de son contenu. Par chance, cette avarie n’avait pas déstabilisé le vélo et entraîné ma chute. Mais avant même de me retourner, je savais ce qui venait de se passer. Le freinage soudain et intense de mon véhicule et le bruit de raclement ne laissait aucun doute. Heureusement, j’ai la chance d’être de nature à très vite rebondir lorsqu’une situation fâcheuse se présente. Immédiatement, je suis descendu du vélo pour constater les dégâts.
La première opération à faire était de détacher la remorque pour pouvoir la redresser mais l’articulation était coincée, la goupille étant bloquée ! Il me fallait donc sortir la clé de 15 pour démonter l’écrou de la roue. Après avoir redressé la remorque et pendant que je ramassais et rangeais mes affaires éparpillées, la pluie s’est invitée à la fête et le stress grandissait à l’idée d’augmenter mon retard. Car tout le temps que j’avais gagné grâce à cette vitesse surhumaine et surement d’avantage était perdu par l’incident ! Au passage, le ‘ressort’ qui servait de rotule entre le vélo et la remorque en est ressorti avec une déformation irréversible en S que je conserverai jusqu’à la fin de mon voyage.
Surprise !
En arrivant aux abords du site, j’ai d’abord vu des tentes… beaucoup de tentes… énormément de tentes… Je ne comprenais pas et en venais même à me demander si j’étais au bon endroit. Le doute s’est dissipé une fois devant le chemin qui mène à la bâtisse principale, ‘le château’ comme ils l’appellent. L’endroit était noir de monde et je ne savais pas pourquoi. En fait, une des principales activité d’Ecolonie est d’accueillir des campeurs et la semaine qui allait démarrer était la plus chargée de l’année en raison du « children festival ». Deux cent campeurs, presque tous néerlandophones, étaient présents. En effet, la communauté d’Ecolonie a été fondée et demeure encore aujourd’hui constituée d’une vingtaine de personnes quasiment toutes natives des Pays-Bas.
L’endroit est très beau. Sur un terrain de 16 ha, cette ancienne colonie de vacances fondée par Emile du Houx en 1882 comprend plusieurs bâtiments, tous en très bon état. Le premier visible à l’arrivée, « le château », en impose. Cette maison de maître est l’ancienne demeure du fondateur du lieu. Autour, les bâtiments initialement destinés à accueillir les enfants pour les vacances sont plus sobres mais tout à fait cohérents avec le château. Juste à côté, un jardin clos produit les plantes aromatiques et médicinales (PAM) vendues à la boutique. Dans un tronc d’arbre, une ruche partiellement vitrée permet d’observer les abeilles en plein travail. De petits massifs mêlant fleurs en tous genre et séparés par des allées en herbe forment des espaces de nature esthétiques et agréables.
De l’autre côté de l’allée se trouve le grand mandala, un espace potager circulaire avec en son centre une grande structure pyramidale. Des planches de maraichages y assurent une partie des besoins en légumes du lieu. A un autre endroit, un étang d’environ un demi hectare est partagé entre une partie sauvage où oiseaux et animaux peuvent profiter d’un espace tranquille et une zone de baignade aménagée avec un ponton très apprécié des campeurs. Et derrière l’étang, une grande prairie en triangle où d’autres tentes, dont la mienne, sont installées. Nature et présence humaine cohabitent et se mêlent de façon admirable.
Tout ce terrain forme le domaine de Thiétry. Mais Ecolonie possède aussi deux autres parcelles à quelques kilomètres de là. Il y a Forge Neuve qui contrairement à son nom est une ancienne forge qui jouxte un autre étang de baignade et une petite buvette. J’aurai l’occasion de mis rendre et de me baigner en compagnie de Céline, une volontaire francophone et Gaëtan, le sympathique français responsable du maraîchage, un moment très agréable en ce capricieux mois d’août. Certains membres de la communauté ont leur logement privé dans d’autres bâtiments anciens qui bordent l’étang. Et il y a aussi une ferme de 14 ha où Peter s’occupe des brebis qui donnent le très bon gouda servi à tous les repas.
Le travail, une valeur centrale
A mon arrivée, comme la journée avait été longue et pluvieuse et qu’il était déjà tard, les responsables de l’accueil m’ont autorisé à passer une nuit tout confort dans un des appartements non occupés du lieu ce qui m’a fait le plus grand bien. Dès le lendemain, le travail commençait. Les journées étaient principalement remplies de service à la cuisine entre confection des repas, vaisselle, mise en place des buffets et service en salle. En effet, Ecolonie réussit, en haute saison, le tour de force de rassembler 40 bénévoles et de les faire travailler 40h par semaine pendant deux semaines au minimum ! Bien sûr, ils sont nourris pour tous les repas et logés… sous la tente…enfin…sous ma tente ! Il s’agit là d’une forme de wwoofing assez particulière quand on sait que d’après wwoof.fr, le temps de travail ‘convenable’ se situe autour de 5h par jour hors weekends soit 25h par semaine et logé en dur dans la plupart des cas.
Néanmoins, les personnes présentent étaient informées à l’avance de ces conditions et étaient libres de les accepter ou non. Je ne faisais pas exception à cette logique. Mais en interrogeant certaines ‘participantes’ pour savoir si elles trouvaient ici ce qu’elles étaient venues chercher, plusieurs d’entre elles avouaient être quelque peu déçu de passer le plus clair de leur temps en cuisine alors que leur souhait était souvent de découvrir et de travailler au jardin. Ces personnes sont tout de même parvenues, après s’être manifestées auprès des encadrant à passer un peu de temps au maraîchage. En ce qui me concernait, je n’avais pas ce genre d’aspiration car les lieux que j’ai retenu pour ce voyage avaient tous une composante potagère. Même si les volumes horaires et les conditions d’hébergement me paraissais quelque peu ardu, j’étais prêt à les endurer car je souhaitais découvrir cette communauté, sa philosophie, son organisation et son ambiance.
Une communauté discrète
Malheureusement, j’ai trouvé que les membres de la communauté n’étaient pas très ouverts et accessibles. Très discrets, certains d’entre eux ne se sont adressés à moi que pour me signaler que je ne faisais pas les choses correctement, notamment dans la façon de sonner la cloche qui indiquait le début du repas… Lorsque j’ai demandé à un des fondateurs si je pouvais l’interviewer, il m’a d’abord répondu favorablement. Mais il est revenu vers moi quelques jours plus tard en me disant (en anglais) « Tu comprends, je ne peux pas te résumer en 5 minutes ce qu’est Ecolonie » et posant devant moi une liasse de papiers, il a ajouté « Lis ces documents et si après ça tu as encore des questions, tu pourras revenir me voir. » Cette réponse m’a déçu et reflétait pour moi un manque d’envie de partager sur le projet ainsi qu’un manque d’ouverture. De plus, ayant rencontré ce phénomène à plusieurs reprises, je trouve justement qu’il n’est pas sain qu’un projet collectif ne puisse être résumé en 5 minutes ! Un projet dont les intentions et la raison d’être sont claires doit pouvoir être décrit avec peu de phrases. Bien sûr, un historique détaillé d’un projet qui a plus de trente ans peut être long à raconter et déjà très bien décrit sur le papier mais le pourquoi et les valeurs qui rassembles les membres doivent être relativement synthétiques. Un projet trop complexe peut devenir un projet trop compliqué et perdre ceux qui tentent de le faire vivre.
Dans la lignée du manque d’ouverture, un élément m’interpelait. Parmi les membres de la communauté, tous et toutes d’origine néerlandaise, presque aucun d’entre eux n’était capable de s’exprimer en français. De mon point de vue, lorsqu’on vit dans un pays étranger, ne pas en maîtriser la langue après 30 ans m’apparait comme une forme de replis communautaire. De même, tout sur le lieu était imprégné de la culture néerlandaise comme par exemple les horaires des repas et aussi leur contenu. Cela expliquait que leur clientèle soit elle aussi néerlandophone. Un animateur non membre de la communauté qui parlais français m’a même demandé « Alors, qu’est-ce que ça te fait de séjourner dans une enclave hollandaise ? » … Cette ‘monoculture’ est un peu antinomique d’un ‘’centre écologique international’’ tel qu’Ecolonie se défini.
La spiritualité
Ecolonie, c’est aussi la spiritualité. Elle s’exprime avant tout « dans la discipline et la dévotion » avec laquelle sont réalisés les travaux quotidiens. Les habitants eux-mêmes se définissent comme « des moines contemporains, qui ne portent pas les habits monacales, qui ne sont membres d’aucun ordre. »[1] Cette spiritualité s’exprime aussi de façon syncrétique puisqu’il est possible de rencontrer sur certains murs des bâtiments des œuvres graphiques inspirées par exemple des quatre éléments. Il m’a même été donné de participer à un rituel en l’honneur de la pleine lune – sans la pleine lune en raison des nuages – animé par des déclamations adressées à chacun des quatre points cardinaux et des quatre éléments agrémentés à chaque fois d’un peu de musique sur quatre instruments différents.
‘Aucun réseau’
Sur le sol d’Ecolonie, les téléphones portables sont proscrits à l’exception du ‘point wifi’, un petit abri ouvert où les ‘geeks’ peuvent se retrouver. Cette interdiction peut sembler moyenâgeuse à une époque où ces outils nous semblent indispensables. Cette mesure est avant tout en vigueur par respect pour les électrosensibles. Mais elle a aussi pour effet de restaurer des rapports humains authentiques. Les gens ne passent plus leur temps avec les absents, les relations sont vraies et pas interrompues pas des appels, des messages reçus auxquels il faut absolument répondre malgré la discussion en cours, des photos sans intérêt à montrer aux personnes qui nous entourent et qui nous dispense d’une description orale… des interrogations immédiatement satisfaites par Wikipédia ou internet… De cette façon, on est avec les autres et nul par ailleurs. Personne ne peut être présent au milieu des autres sans être AVEC les autres. L’utilisation de ces outils est réduite à l’indispensable. Et si on s’ennuie, la seule façon de rompre cet ennui est d’aller à la rencontre des autres ou de faire une activité avec eux ce qui enrichie les rapports humains et crée des relations vraies. J’ai beaucoup apprécié cette façon de faire et je suis sûr que beaucoup de vacanciers et de bénévoles l’ont appréciée aussi.
Bilan
Un sentiment mitigé m’habite au moment de quitter ce lieu. J’y ai passé de très bons moments en compagnie des bénévoles, français et néerlandais, dans un très bel endroit. Mais mon séjour n’a pas répondu à mais attentes. Je n’ai pas le sentiment d’avoir rencontré la communauté pour en comprendre la quintessence, le pourquoi et pour vivre les valeurs qu’elle revendique. En effet, il m’a semblé constater un certain décalage entre les idéaux affichés et la réalité visible, notamment sur cette question de l’ouverture locale et internationale aussi bien pour les activités liées au projet qu’au sein de la communauté elle-même. De plus, tout semble fait pour maximiser l’aspect lucratif, notamment dans le recourt à une main d’œuvre quasiment gratuite. Je retournais toutes ces choses dans ma tête en mettant le cap plein Est vers les plaines d’Alsace.
[1] Les deux citations sont tirées du fascicule « Ecolonie – Information pour les bénévoles (participants) »
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A great read. I will definitely be back.
Thank you Kevin for being so enthusiastic !
I just published the latest podcast episode (in french) related to the place number 11#.
Max