19# La ferme de Saint-Laurent : communauté de travail

Nichée dans les collines

Une fois la dernière côte ardue franchie, j’arrive à la ferme de Saint Laurent, un GAEC de 140ha avec un très grand panel de productions et de transformations alimentaires (voir le détail dans le cartouche en haut de la page) auxquelles s’ajoutent des activités artisanales. L’endroit est très beau. Nichés dans une petite vallée en pente douce où l’on aperçoit les cultures maraîchères, plusieurs bâtiments anciens presque invisibles de la route sont adossés à une paroi rocheuse surmontée d’une ancienne tour carrée. Une magnifique maison de maître semble trôner majestueusement près de l’ensemble. L’immense terrasse qui l’entoure sur deux côtés et qui offre un espace couvert sur son flanc Sud est très agréable.
Un bâtiment, plusieurs façons de l’habiter

A cause de certaines difficultés de communication, je ne suis pas attendu sur le lieu mais par chance, il reste de la place dans cette grande maison. Le bâtiment est multifonctionnel puisque les deux premiers niveaux servent de gîte pour accueillir des groupes et que le dernière étage abrite une colocation composée d’habitant.es, de stagiaires, d’apprentis et de personnes de passage comme moi. L’endroit où je m’installe est simple mais tout ce qu’il faut s’y trouve. Comme je ne suis pas wwoofeur [1], je paie une petite somme pour mon séjour. Je partage presque tous mes repas avec Sarah, stagiaire en maraichage, et Thibaud, apprentis éleveur. Ils sont très sympathiques et nos discussions sont agréables. Un couple très discret vit dans un appartement sur le même étage et un autre couple occupe une chambre et fait donc parti de la colocation. Ce concept de différentes façons de vivre cohabitant dans un même bâtiment me plaît.
Travail et fromage
Après avoir répondu à quelques nécessités logistiques comme les courses et la lessive, je commence à me mettre en quête de quelque travail à réaliser. L’après-midi étant déjà entamé, Amélie me conseille de revenir le lendemain à 8h pour l’embauche. A 8h, ils sont déjà tous et toutes occupées à soigner les bêtes, des vaches mais aussi d’énormes cochons comme jamais je n’en ai vu ! Pour la matinée, j’aide Frédéric à la fromagerie. Ce salarié dédié à la transformation laitière me fait un très bon accueil malgré l’intensité de son travail. En effet, il doit en même temps surveiller plusieurs préparations en cours comme le chaudron où le caillé est en préparation ou encore les yaourts où les ferments ont été ajoutés, avec à chaque fois des durées et des températures précises à respecter. Avec une grande pédagogie, il prend le temps de m’expliquer les subtilités de ces recettes et je l’aide en remplissant de confiture les futurs pots de yaourts aux fruits.
Ça serre à ça !
Un peu plus tard, je m’occupe d’une serre métallique. L’édifice est très beau car il s’agit d’une de ces serres anciennes en verre même si ici, il n’y a que la structure, fraichement repeinte d’un rouge vif. Avec Philippe, le responsable du maraîchage, nous retirons du matériel entreposé le long du muret qui entoure la serre et nous la débâchons sur la moitié de façon à pouvoir par la suite y verser un godet de fumier et ainsi débuter les plantations. Je participe aussi à l’étalement du fumier à l’aide d’un croc. Ce n’est pas chose facile et il me faut transpirer pour y arriver. Pour terminer en beauté, je pose le pied sur ce que je croyais être le sol de la serre… il s’agissait en fait d’un regard rempli de 50cm d’eau et partiellement recouvert d’une bâche, regard que j’avais pourtant remarqué un peu plus tôt. Je m’y enfonce d’un seul coup. J’en serai quitte pour une bonne frayeur et une botte entièrement remplie d’eau…
Probité
Lorsque je recroise Amélie, elle aussi membre du GAEC, c’est pour être avertis qu’elle refuse que je travaille dans la fromagerie. Pour elle, n’ayant aucun statut au sein de la ferme, je ne suis pas sensé participer à des activités que l’on pourrait qualifier de critiques comme faire des fromages et du yaourt. La responsabilité du GAEC serait engagée en cas de pépin sur les produits. Malheureusement, la gentillesse de Frédéric et mon attrait pour le métier me poussent à transgresser l’interdit ce qui me vaudra une seconde réprimande tout à fait justifiée…
Il est vrai que la pratique est légèrement hors norme. Même lorsqu’une personne est reconnue comme wwoofeuse, elle ne bénéficie d’aucun cadre légal et aucun document officiel ne définit les conditions de l’accord. Cette façon de faire est avant tout basée sur la confiance mutuelle entre les deux parties et un simple coup de fil à votre assureur suffi à vous couvrir en cas de problème. [2]
D’autres activités, d’autres rencontres
Un autre jour, je rencontre un jeune homme occupé à tirer à l’arc, une pratique que j’apprécie beaucoup ! Il m’invite très gentiment à essayer tout en conversant très agréablement dans une curiosité mutuelle. Les cheveux bruns très frisés tirés en arrière en catogan, il est ferronnier d’art et œuvre sur la ferme dans un petit atelier que je n’aurais pas la chance de découvrir.

Il y a aussi Noé, le jeune boulanger, que j’interviewerai par la suite. A la colocation, nous sommes autorisés à prendre dans le grand congélateur les pains invendables à cause de petits défauts mineurs ce qui ne m’empêche pas de reconnaitre la qualité de son travail. Je passe un peu de temps à l’observer pendant qui est à l’œuvre dans le fournil. Un détail m’interpelle. La plupart des personnes qui travaillent dans l’univers de la boulangerie ont l’habitude de porter des vêtements blancs de façon à rendre moins visible les traces de farine. Noé a quant à lui choisi de travailler… tout en noir !… Il s’occupe aussi de la minoterie et surveille les immenses machines anciennes qui servent à trier le grain produit sur la ferme.
Wwoofeur malgré tout
Un peu plus tard, dans l’idée de ne pas travailler directement à la production mais d’apporter mon aide, j’aide Philippe et Noé à empierrer un chemin avec de grosses pierres que nous faisons tomber de la remorque attelée au tracteur. Même travail en sens inverse avec des buches de bois disséminées en petits tas sur le domaine qu’il nous faut parfois chercher sous la végétation. Ce bois servira à alimenter la chaudière de la ferme.
Une communauté de travail
Sur la ferme, il n’y a pas d’espace commun où les personnes peuvent se retrouver et échanger, c’est pourquoi il m’est difficile de véritablement rencontrer les membres du GAEC en dehors des temps de travail. La façon dont les vies de ces personnes s’entremêle semble se borner à une coopération professionnelle et ce fonctionnement paraît convenir à tout le monde. Ce n’est pas le cas du second GAEC que j’aurai l’occasion de découvrir bien plus tard et qui se nomme Radis&Co (48#), en Mayenne.
Like a Lyon…

A la fin de mon séjour, je reprends la route pour traverser le Beaujolais. Les vignes toutes parées des couleurs de l’automne sont un délice pour le regard. La ville de Lyon que je connais un peu s’est elle aussi habillée d’or et d’ocre et est prête à m’accueillir pour une pause de quelques semaines. Avec mon ami Jeannot, lyonnais depuis toujours qui m’héberge pendant cette période, nous ne manquons pas de profiter de la gastronomie locale qui s’exprime notamment au marché de la Croix Rousse.
Qui veut voyager loin…

Je profite aussi de ce moment de sérénité pour faire un peu de maintenance sur mon vélo et ma remorque qui en ont bien besoin après ces déjà 1942 km parcourus. Je prends contact avec l’association Le Cyclub qui favorise l’accès au vélo et le faire soi-même. Je suis très bien reçu et bénéficie de l’aide et de l’expérience des bénévoles pour dévoiler la roue arrière du vélo et les roues de la remorque, régler le dérailleur, changer les 4 pneus et refixer le protège-chaîne qui s’est cassé. Pendant deux demi-journées, l’ambiance est très agréable et le local sent bon le milieu associatif…
[1] WWOOF : World Wide Opportunities on Organic Farms
[2] Plus d’informations sur wwoof.fr
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😉