8# La ferme du Hayon : ferme et collectif
Traverser une frontière par la route et, qui plus est, à vélo avait pour moi un côté grisant de par la rareté de l’évènement. Mais après plusieurs allers-retours entre la Maison de Partage (7#), en France, et la ferme du Hayon, en Belgique, cet événement a fini par être gagné par la banalité. Comme il n’y a que 7 km entre ces deux lieux, au moment d’aller m’installer à la ferme du Hayon, je n’ai pas sorti toute la panoplie du cycliste comme lorsque je m’apprête à faire une vraie journée de vélo. Un short normal et mes sandales ont fait l’affaire. Bien que je sois déjà venu sur les lieux, je ne sais pas où aller lorsque j’arrive et Lise et Laurent, deux habitant.es qui attendent un taxi à l’extérieur sont plutôt avares d’explications… Je finis par trouver l’accès à la salle commune. Après la bière de bienvenue, je monte en voiture avec Marc pour raccompagner une dame qui vient de participer sur la ferme à un stage de fauchage manuel. Nous nous attardons un moment devant son troupeau qui paît dans un grand pré.
L’élevage, une passion
Marc fait partie de ces éleveurs passionnés qui regardent leur troupeau avec le sourire. Devant nous une quarantaine de bêtes, mâles et femelles de plusieurs races et de tous les âges broutent paisiblement. Leur propriétaire connaît l’ascendance de chaque mère sur cinq générations et les a d’ailleurs toutes nommées, soit avec un prénom à caractère russe, soit avec un prénom à consonance anglo-saxonne pour distinguer les deux lignées. De plus, il connaît le caractère de chaque bête, plutôt passive, plutôt agressive, plutôt joueuse et agitée ou plutôt sérieuse. En raison de cette variété des caractères et des différences d’âge, une organisation sociale s’est mise en place au sein du troupeau et Marc sait bien qui sont les meneuses et qui sont les suiveuses. Cela s’avère très utile le lendemain lorsque nous devons déplacer ces 40 bovins vers un autre pâturage.
Comme première mission, c’est une expérience impressionnante. N’étant pas du tout familier avec ces animaux à la force et au poids considérable, l’activité débute avec une certaine appréhension. Heureusement Marc est là pour m’expliquer : « Si tu t’approches d’une vache à moins de dix mètres, elle fera demi-tour ». Incrédule au début, je m’aperçois rapidement qu’effectivement, il suffit de se tenir à environ 10m de la colonne et dès qu’une bête tente une échappée, un pas vers elle suffit à la dissuader de s’écarter du rang. Cela reste malgré tout une opération dangereuse et un excellent exercice de coordination. Sans l’aide supplémentaire de Marianne et Lyriane, deux habitantes de la ferme, ce serait tout à fait impossible puisqu’il faut une personne en tête qui indique le chemin, plusieurs personnes sur les côtés lorsque les bordures du parcours ne sont pas clôturées et une personne à l’arrière pour motiver les plus nonchalantes. Marc est celui que les vaches connaissent le mieux et à qui elles font le plus confiance. C’est donc lui qui prend la tête du cortège et qui dirige les opérations. Notre mission, à nous qui l’aidons, est d’être le plus réactif possible aux injonctions qu’il nous lance. Bien évidemment, pas le temps de mettre les formes et s’offusquer de la façon très directive avec laquelle il s’adresse à nous serait un non-sens et pourrait compromettre le succès de l’opération. Il est la tête, nous sommes les bras… ou plutôt les jambes ! En effet, bien que les bêtes ne soient pas sensées galoper, une fois la cavalcade lancée, il vaut mieux courir vite pour se maintenir à la position adéquate. Et si l’un ou l’une de nous n’exécute pas les ordres de Marc à la bonne seconde ou de façon approprié, la tension monte et le ton de sa voix aussi !
Le plus impressionnant survient lorsque la troupe s’engage dans un étroit défilé et que les bêtes sont obligées de se resserrer sur quelques files. Le ralentissement soudain que cela provoque crée la cohue. Ayant reçu l’ordre de précéder le groupe, je me retourne pour voir ce qu’il en est et découvre, à 10m dernière moi, ces dizaines de paires de cornes agitées, se montant les unes sur les autres pour ne pas se rentrer dedans et s’engageant au galop dans l’étroit chemin avec Marc, les bras en croix hurlant à la troupe de ralentir, pour seul rempart entre ce bulldozer animal et moi ! Heureusement, Marc connaît son travail et les bêtes finissent par lui obéir. Encore quelques dizaines de mètres et nous parvenons tranquillement à destination.
Un peu plus tard dans la semaine, nous serons amenés à exécuter une tâche similaire. Une des vaches du troupeau boite à cause d’un abcès à une patte avant. Il faut donc la mettre à part du groupe et l’emmener vers les stabulations. Les bovins ont l’instinct grégaire et une vache isolée sera plus stressée et forcément moins docile. C’est pourquoi nous devons séparer non pas une mais au moins trois vaches pour réduire cette angoisse et faciliter le travail. Pour occuper le gros de la cohorte, nous disposons le long d’un fil de clôture de l’aliment et tous se mettent à manger selon un rang parfait. Les vaches sélectionnées pour le trajet sont mises à part. Bien que nous soyons quatre personnes et que le champ ne fasse que 30m de large, ce n’est pas chose facile de jouer les rabatteurs dans ce jeu aux airs de feria. Seules deux d’entre elles arrivent à l’étable. Marc entrave la vache malade dans les râteliers et attache la patte à soigner à une des barres de l’installation. Il commence alors à couper des morceaux de sabot à l’aide d’une tenaille. Il est étrange de voir ces gros morceaux d’ongle tomber à terre. Puis, il gratte le sillon présent sur chacune des deux parties de ce sabot fendu. Enfin, avec une tige pointue, il finit par percer l’abcès et, partant juste au-dessus du sabot, un long filet de sang s’écoule. La douleur doit être aigüe à en juger pas la façon violente dont la pauvre bête se débat entre ses barreaux. Mais c’est un mal nécessaire. La blessure sera définitivement guérie d’ici quelques jours.
Une ferme très active…
La ferme du Hayon est une vraie ferme. En plus de l’activité d’élevage, il y a aussi les cultures céréalières. Des variétés anciennes y sont cultivées de façon artisanale. Sur des rangs d’un mètre de large, des blés de toutes tailles, de toutes formes et de tous les aspects se côtoient. Certaines tiges sont très hautes, d’autres beaucoup plus courtes. Certains épis sont petits et recourbés, d’autres sont plus gros et bien droits. Certains sont d’un jaune d’or parfait d’autres sont d’un gris presque noir. Sur certains rangs, tout ce petit monde est mélangé. Il y a aussi quelques hectares de pommes de terre et bien sûr des cochons, des volailles et même une chèvrerie gérée par un couple en dehors du collectif. Les fenaisons battent leur plein pendant mon séjour et j’y participe activement. Comme les parcelles sont petites et que le matériel a déjà du vécu, j’aide la botteleuse avant son passage en améliorant les andins crées pas l’andaineuse à l’aide d’un authentique râteau à foin et après son passage pour rassembler ce qu’elle n’a pas avalé. J’ai un peu l’impression d’être à mi-chemin entre l’exploitation agricole et le jardinage… Nous ramassons aussi les bottes de foin de 20kg à la fourche pour les charger sur le tombereau qu’il faut ensuite décharger à la main dans la grange et en hauteur. C’est un travail de force qui heureusement ne nous occupe que quelques heures par jour et qui m’amuse beaucoup par son originalité. En effet, les activités que je réalise sur la ferme sont très différentes de ce que j’ai pu faire jusqu’à maintenant et je ne le referais pas pendant le reste de mon voyage.
Rémi, le fils de Marc, est présent lui aussi. Étudiant dans le domaine du cinéma, il vient souvent prêter main forte à l’équipe pendant ses vacances. Évidemment, il maîtrise tous les aspects du métier notamment la conduite des tracteurs. Un soir, avec quelques ami.es étudiant.es, il nous offre une soirée pizza au feu de bois cuites dans le grand four de la ferme. Eh oui, c’est le seul chaînon manquant pour avoir une activité de paysans-boulangers. Il y a la culture céréalière, la meunerie, le four et la boulangerie mais il manque la boulangère ou le boulanger. Malgré tout, Marianne fait de temps à autre du pain dans le four de la cuisine. Les habitant.es se réjouissent de pouvoir manger du pain dont les matières premières n’ont pas quitté la ferme.
…et collective ?
A la base, j’étais sensé travailler principalement au jardin sous la houlette de Lyriane mais cette période de forte activité agricole a tendance à phagocyter toutes les forces vives disponibles. C’est d’ailleurs un point sur lequel il faut être vigilant. Quels sont les devoirs des habitant.es ? Combien d’heures doivent ils consacrer aux activités de la ferme ? De quoi bénéficient-ils en retour ? Sont-ils libres de refuser ce travail ? Autant de questions qui nécessitent des réponses claires sans quoi des tensions peuvent émerger. Et des tensions, il y a en a. Au quotidien, nombreux sont les moments où Marc hausse le ton notamment lorsque quelqu’un n’a pas retenu une information qu’il considère comme sue de tous. Les réunions de coordination et de partage des ressentis sont bien souvent reportées ou annulées parce qu’un participant ne peut être présent. Parce que les activités agricoles sont jalonnées d’imprévus, il n’est pas aisé d’anticiper, de planifier et d’organiser le travail et le mode « pompier » prend souvent le dessus. Comme Marc le reconnaît, il faut réussir à trouver un équilibre entre ces deux façons de fonctionner en adéquation avec le caractère et les appétences de chacun.
Parmi les habitants et habitantes, Lise et Laurent sont en train de s’installer sur la ferme. Ils logent actuellement dans les bâtiments centraux mais construisent leur yourte dans un pré un peu plus haut. Je leur donne un coup de main pour découper les bandes par-vapeur à poser sous le plancher et pour installer l’isolant intérieur. Il y aussi un gîte sur la ferme tenu par Lyriane et qui accueille un stage de doula, ces ‘’sage-femmes tribales’’. Un soir, avec tout ce groupe, Laurent nous apprend à allumer un feu avec un silex, de la pyrite et de l’amadou. Il a aussi la fameuse technique avec un arc qui fait tourner très vite un morceau de bois vertical. Il est grisant de voir jaillir la flamme de la boule de foin à partir de moyens aussi simples.
Des bâtiments à restaurer
Rémi a aussi pour projet de restaurer une partie des bâtiments. Comme dans tous les écolieux que j’ai visités, le collectif a souvent du mal à valoriser son bâti. Les lieux présentent souvent de grands bâtiments parfois centenaires sur lesquels le temps a laissé sa marque. Certains vestiges témoignent de la fonction initiale de la bâtisse comme des anciennes stabulations en bois ou des mangeoires en béton. Les parties habitables sont restreintes au strict besoin et tout le reste ne sert qu’à stocker du matériel disparate. Il est désolant de voir tout ce potentiel sous-exploité se dégrader peu à peu. Mais avec un peu de recul, on comprend mieux le point de vue des habitant.es. « Restaurer plus de bâtiments !? pourquoi faire ? » En effet, restaurer un bâtiment est un gros projet qui nécessite de l’argent et un suivi constant. De même, restaurer pour restaurer n’aurait aucun sens. Il est indispensable, avant de se lancer, d’avoir une intention, un pourquoi, une vision. Soit cette restauration est jugée nécessaire parce qu’elle va apporter un mieux être au collectif, soit elle s’inscrit dans le démarrage d’une nouvelle activité qui, in fine, aura des retombées économiques qui permettront d’amortir les travaux. Si l’on ne se trouve dans aucun de ces deux cas, la dépense consentie risque d’être de l’argent perdu. A l’inverse, si rien n’est fait, on peut se trouver dans le cas où des travaux sont nécessaire pour juguler la dégradation du bâtiment. Il faut alors dépenser de l’argent pour ne pas en perdre… Ici, l’idée est de créer dans « la ruine » une nouvelle salle commune avec un accès direct sur l’extérieur et de nombreux couchages dans les étages supérieurs. Mais il y a beaucoup de travail. En dehors des murs et du toit, tout reste à faire ! Quelques poutres vermoulues délimitent les trois niveaux. La première étape sera de les arracher des murs et de les remplacer pour recréer de vrais planchers. Les poutres neuves sont déjà disponibles, il n’y a plus qu’à se mettre à l’ouvrage. J’aurais bien aimé participer à un tel chantier mais la suite de mon voyage m’attend et trois jours de vélo me séparent d’un autre lieu… totalement différent…
Activités réalisées :
- Déplacement d’un troupeau de 40 bovins pour les changer de champ
- Déplacement d’une vache pour la soigner d’un abcès au sabot
- Ramassage et rangement de bottes de foin de 20kg
- Pulvérisation d’une dilution de Tabasco sur des plants de tomates pour les protéger des doryphores
- Ramassage de pommes de terre à la main et ramassage avec l’aide du tracteur
- Conditionnement de pommes de terre en vue de la vente
- Nettoyage de silos à grain
- Aide à l’isolation du plancher d’une yourte par le dessous
- Fabrication de dents en bois pour réparer un râteau à foin
- Découpe de poignées dans un gros fût en plastique bleu
- Déplacement de bois en vue de réaménager l’atelier bois
- Relevé de mesures sur un tas de bois de chauffage en vue de construire un abri